et quatre enfants dans la
misère. Le propriétaire de la maison qu’habitaient cette malheureuse 
veuve et ces pauvres orphelins voyageait en Italie, de sorte que, 
pendant son absence, l’intendant, strict observateur des intérêts de son 
maître, exigeait le payement de deux termes arriérés ; on menaçait mère 
et enfants de les mettre à la porte. Cette menace était d’autant plus 
terrible que la mauvaise saison s’avançait : toute cette famille avait 
donc tourné ses regards vers le généreux capitaine, et avait choisi pour 
intermédiaire celle qui venait solliciter le bienfait. 
Ce récit fut fait avec une telle simplicité de gestes et d’une voix si 
douce, que sir Édouard sentit ses yeux se mouiller de larmes ; il porta la 
main à sa poche, en tira une bourse pleine d’or qu’il donna à la jolie 
ambassadrice sans dire un mot ; car, ainsi que le Virgile de Dante, il 
avait désappris de parler à force de silence. De son coté, la jeune 
femme, dans un premier moment d’émotion dont elle ne fut pas 
maîtresse, en voyant sa mission si promptement et si dignement 
remplie, saisit la main de sir Édouard, la baisa, et disparut sans lui 
adresser d’autres remerciements, pressée qu’elle était d’aller rendre la 
sécurité à cette famille, qui était loin de penser que Dieu lui enverrait 
de si promptes consolations. 
Resté seul, le capitaine crut qu’il avait fait un rêve. Il regarda autour de 
lui ; la blanche vision avait disparu, et, n’eût été sa main, encore émue 
de la douce pression qu’elle venait d’éprouver, et la bourse absente de 
son gousset, il se serait cru le jouet d’une apparition fiévreuse. En ce 
moment, M. Sanders traversa par hasard l’allée, et, contre son habitude, 
le capitaine l’appela. M. Sanders se retourna étonné. Sir Édouard lui fit 
de la main un signe qui confirma par la vue le témoignage auriculaire 
auquel il avait peine à croire, et M. Sanders s’approcha du capitaine, 
qui lui demanda, avec une vivacité dont sa voix avait perdu depuis 
longtemps l’habitude, quelle était la personne qui venait de s’éloigner. 
– C’est Anna-Mary, répondit l’intendant, comme s’il n’était pas permis 
d’ignorer quelle était la femme qu’il désignait par ces deux noms. 
– Mais qu’est-ce que Anna-Mary ? demanda le capitaine. 
– Comment ! Votre Seigneurie ne la connaît pas ? répondit le digne M.
Sanders. 
– Eh ! pardieu ! non, répliqua le capitaine avec une impatience du 
meilleur augure ; je ne la connais pas, puisque je vous demande qui elle 
est. 
– Qui elle est, Votre Honneur ? La Providence descendue sur la terre, 
l’ange des pauvres et des affligés. Elle venait solliciter Votre 
Seigneurie pour une bonne action, n’est-ce pas ? 
– Oui, je crois qu’elle m’a parlé de malheureux qu’il fallait sauver de la 
misère. 
– C’est cela, Votre Honneur ; elle n’en fait jamais d’autres. Toutes les 
fois qu’elle apparaît chez le riche, c’est au nom de la charité ; toutes les 
fois qu’elle entre chez le pauvre, c’est au nom de la bienfaisance. 
– Et qui est cette femme ? 
– Sauf le respect que je dois à Votre Seigneurie, elle est encore 
demoiselle ; une digne et bonne demoiselle, Votre Honneur. 
– Eh bien, femme ou fille, je vous demande qui elle est. 
– Personne ne le sait précisément, Votre Honneur, quoique tout le 
monde s’en doute. Il y a une trentaine d’années, oui, c’était en l764 ou 
1766, son père et sa mère vinrent s’établir dans le Derbyshire ; ils 
arrivaient de France, où, disait-on, ils avaient suivi la fortune du 
Prétendant ; ce qui fait que leurs biens étaient confisqués, et qu’ils ne 
pouvaient s’approcher de soixante milles de Londres. La mère était 
enceinte, et, quatre mois après son établissement dans le pays, elle 
donna naissance à la petite Anna-Mary. À l’âge de quinze ans, la jeune 
fille perdit ses parents à quelque intervalle l’un de l’autre, et se trouva 
seule avec une petite rente de quarante livres sterling. C’était trop peu 
pour épouser un seigneur, c’était trop pour être la femme d’un paysan. 
D’ailleurs, le nom que probablement elle porte, et l’éducation qu’elle 
avait reçue, ne lui permettaient pas de se mésallier ; elle resta donc fille, 
et résolut de consacrer sa vie à la charité. Depuis lors, elle n’a point
failli à la mission qu’elle s’était imposée. Quelques études médicales 
lui ont ouvert les portes des pauvres malades, et, là où sa science ne 
peut plus rien, sa prière est, dit-on, toute-puissante ; car Anna-Mary, 
Votre Honneur, est regardée par tout le monde comme une sainte 
devant Dieu. Il n’est donc pas étonnant qu’elle se soit permis de 
déranger Votre Seigneurie, ce que personne de nous n’aurait osé faire ; 
mais Anna-Mary a ses privilèges, et un de ses privilèges est de pénétrer 
partout sans que les domestiques    
    
		
	
	
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