que l’emploi 
qui en avait été fait ; emploi qui, presque toujours, avait eu pour but 
d’arrondir la propriété territoriale, laquelle, grâce aux soins de M. 
Sanders, était dans l’état le plus florissant. Relevé fait de l’actif, il se 
trouva que sir Édouard, à son grand étonnement, jouissait de deux mille 
livres sterling de rente, qui, jointes à son traitement de retraite, 
pouvaient lui constituer soixante-cinq à soixante et dix mille francs de 
revenu annuel. Sir Édouard avait, par hasard, rencontré un intendant 
honnête homme. 
Quelque philosophie que le contre-amiral eut reçue de la nature et 
surtout de l’éducation, cette découverte ne lui était pas indifférente. 
Certes, il eût donné cette fortune pour ravoir sa jambe et surtout son 
activité ; mais, puisque force lui était de se retirer du service, mieux 
valait, à tout prendre, s’en retirer dans les conditions où il se trouvait, 
que réduit à sa simple retraite : il prit donc son parti en homme de 
résolution, et déclara à M. Sanders qu’il était décidé à aller habiter le 
château de ses pères. Il l’invita, en conséquence, à prendre les devants, 
afin que toutes choses fussent prêtes pour son arrivée à Williams House, 
arrivée qui aurait lieu huit jours après celle du digne intendant. 
Ces huit jours furent employés, par sir Édouard et par Tom, à réunir 
tous les livres de marine qu’ils purent trouver, depuis les Aventures de 
Gulliver jusqu’aux Voyages du capitaine Cook. À cet assortiment de 
récréations nautiques, sir Édouard joignit un globe gigantesque, un 
compas, un quart de cercle, une boussole, une longue-vue de jour et une 
longue vue de nuit ; puis, toutes ces choses emballées dans une
excellente voiture de poste, les deux marins se mirent en route pour le 
voyage le plus long qu’ils eussent jamais fait à travers terres. 
Si quelque chose avait pu consoler le capitaine de l’absence de la mer, 
c’était certes la vue du gracieux pays qu’il traversait : l’Angleterre est 
un vaste jardin tout parsemé de massifs d’arbres, tout émaillé de vertes 
prairies, tout baigné de tortueuses rivières ; d’un bout à l’autre du 
royaume se croisent en tous sens de grandes routes sablées, ainsi que 
les allées d’un parc, et bordées de peupliers onduleux, qui se courbent 
comme pour souhaiter aux voyageurs la bienvenue sur les terres qu’ils 
ombragent. Mais, si ravissant que fût ce spectacle, il ne pouvait 
combattre, dans l’esprit du capitaine, cet horizon toujours le même, et 
cependant toujours nouveau, de vagues et de nuages qui se confondent, 
d’un ciel et d’une mer qui se touchent. L’émeraude de l’Océan lui 
paraissait bien autrement splendide que le tapis vert des prairies ; et, si 
gracieux que fussent les peupliers, ils étaient loin d’avoir, en se 
courbant, la mollesse d’un mât chargé de toutes ses voiles ; quant aux 
routes, si bien sablées qu’elles fussent, il n’y en avait pas qu’on pût 
comparer au pont et à la dunette de la Junon. Ce fut avec un 
désavantage marqué que le vieux sol des Bretons déroula aux yeux du 
capitaine tous ses enchantements ; et c’est sans avoir fait une seule fois 
l’éloge des pays à travers lesquels il avait passé, pays qui sont 
cependant les plus beaux comtés de l’Angleterre, qu’il arriva au haut de 
la montagne du sommet de laquelle on découvrait, dans toute son 
étendue, l’héritage paternel dont il venait prendre possession. 
Le château était bâti dans une situation charmante ; une petite rivière, 
prenant sa source au pied des montagnes qui s’élèvent entre 
Manchester et Sheffield, coulait tortueusement au milieu de grasses 
prairies, et, formant un lac d’une lieue de tour, reprenait sa course pour 
aller se jeter dans la Trent, après avoir baigné les maisons de Derby. 
Tout ce paysage était d’un vert vivace et réjouissant ; on eut dit une 
nature éclose de la veille et toute virginale encore, échappée à peine des 
mains de Dieu. Un air de tranquillité profonde et de bonheur parfait 
planait sur tout l’horizon, borné par cette chaîne de collines aux 
courbes gracieuses qui prend naissance dans le pays de Galles, traverse 
toute l’Angleterre, et va s’attacher aux flancs des monts Cheviots.
Quant au château lui-même, il datait de l’expédition du Prétendant ; il 
avait été élégamment meublé à cette époque, et les appartements, 
quoique déserts depuis vingt-cinq à trente ans, avaient été entretenus 
avec un tel soin par M. Sanders, que les dorures des meubles et les 
couleurs des tapisseries semblaient être sorties la veille des mains de 
l’ouvrier. 
C’était, comme on le voit, une retraite très confortable pour un homme 
qui, lassé des choses de ce monde, l’eût choisie volontairement ; mais il 
n’en était pas ainsi de sir Édouard : aussi toute cette nature calme et 
gracieuse lui parut-elle quelque peu monotone, comparée à l’éternelle 
agitation de l’Océan, avec ses horizons    
    
		
	
	
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