Le tour de France en aéroplane | Page 2

Henry de Graffigny

--En ce cas, pourquoi continue-t-il à voler malgré la nuit?...
--Sans doute pour nous montrer ce qu'il est capable de faire avec son
biplan, riposta Médouville.
--A moins que, comme cela est arrivé hier, il ne puisse plus couper
l'allumage de son moteur, dit Outremécourt, tout en descendant
l'escalier de la tribune. Il a éprouvé une fameuse souleur, ce brave
Farman! Un peu plus, il se jetait contre l'un des hangars!...
--Enfin, ce qui est certain, conclut La Tour-Miranne en s'installant au
volant d'une élégante voiturette dont le chauffeur venait de mettre le
moteur en marche et d'allumer les phares, ce qui est certain, c'est que
nous venons d'assister cet après-midi à un-spectacle inoubliable!
Avant de pousser son levier d'embrayage et de démarrer, le jeune
homme se pencha vers ses interlocuteurs.
--Nous nous retrouverons ce soir?... interrogea-t-il. Les jeunes gens se
consultèrent du regard.
--Nous ferons sans doute un tour à l'Universelle, vers dix heures, se
décida à répondre Médouville. Vous y verra-t-on?
--Certainement. N'est-ce pas dans ces salons que se rencontrent les
modernes rois de l'air que nous venons de voir évoluer avec une
incomparable maestria?... C'est donc entendu!
La Tour-Miranne tira à lui le levier qu'il tourmentait depuis un instant;
un grincement caractéristique se fit entendre, en même temps que les
battements des pistons s'accéléraient, mais ces mouvements
désordonnés ne durèrent qu'un moment; l'allure du moteur redevint vite
normale, et l'auto démarra doucement pour se mettre à la file des autres
véhicules regagnant en hâte l'antique cité champenoise.
Outremécourt et Médouville, de leur côté, s'étaient dirigés vers la gare,

où ils retrouvèrent plusieurs personnes de leur connaissance attendant
également le train devant les ramener à Reims. Pendant le court trajet
de Bétheny à l'ancienne ville où les rois de France étaient sacrés, la
conversation ne roula, ainsi qu'on le conçoit, que sur les performances
des aviateurs, auxquelles les jeunes gens venaient d'assister.
--C'est égal, déclara un des voyageurs que ses compagnons écoutaient
avec intérêt, bien qu'il parlât d'un ton décidé et impérieux, c'est égal,
qui eût pu se douter qu'en si peu de temps, la question de la locomotion
aérienne aurait pris une telle ampleur et que l'on serait'arrivé aux
résultats extraordinaires que nous venons de constater!... Pour ma part,
j'en demeure confondu. Vous avez vu tout à l'heure les cabrioles de
Lefebvre?... Je suis certain que Wilbur lui-même en aurait été
émerveillé!
--Et Latham, donc, renchérit son voisin. Il m'a fait passer le frisson de
la petite mort dans le dos, quand il a coupé son allumage à plus de cent
mètres de haut et qu'il est descendu en tournoyant comme un immense
vautour, pour repartir de plus belle au moment de toucher le sol.
[Illustration: Au milieu d'un groupe d'auditeurs, Réviliod pérorait.]
Celui qui avait parlé le premier reprit:
--J'ai suivi, moi qui vous parle, les essais et expériences de l'année
dernière et assisté également aux vols les plus impressionnants de
Wright avec son flyer. J'ai remarqué l'anxiété des pilotes interrogeant
l'anémomètre et n'osant se risquer lorsque soufflait la plus faible brise.
Hé bien! vous avez vu, tous ces jours-ci, les aviateurs s'élancer dans les
airs et battre des records de durée, alors que soufflaient des vents de
plus de huit mètres par seconde et que la pluie tombait à flots, chassée
par les rafales!... Ah! l'émulation est une bonne chose, il faut en
convenir. On doit reconnaître que les champions de l'aéroplane se sont
bien enhardis et ont fait de fameux progrès en peu de temps! N'est-ce
pas votre avis, Réviliod?...
--C'est possible, rétorqua celui-ci d'une voix coupante. J'admire tout
comme vous les vols remarquables exécutés sous nos yeux par les

disciples des Wright et du capitaine Ferber, mais, à mon avis, ce sont
des acrobates, et l'aéroplane me semble un outil bon tout juste à se
casser le cou! Parlez moi des dirigeables, à la bonne heure! Au moins la
sécurité est assurée à leur bord si une pièce quelconque de la machine
vient à casser! Vous avez vu manoeuvrer, cette après-midi, le
Colonel-Renard et le Zodiac II?... Quelle impression de puissance, de
solidité ils donnent, à côté des libellules de Blériot ou des boîtes
entoilées des frères Voisin!... Vous me direz qu'ils vont moins vite que
celles-ci, je le reconnais comme vous, mais si la vitesse est acquise au
détriment de la sécurité, je préfère encore le ballon, savez-vous,
Damblin.
--L'avenir est à l'aéroplane, Réviliod!
--Le ballon dirigeable n'a pas dit son dernier mot. Voyez le Zeppelin!
--Moi je vais vous mettre d'accord, intervint Médouville avançant sa
grosse figure réjouie. La machine aérienne de l'avenir qui remplacera la
locomotive et l'automobile ne sera ni un aéroplane, ni un ballon!
--Et qu'est-ce que ce sera donc, alors? firent en choeur les auditeurs.
--Je l'ignore; je n'en ai pas la plus vague idée, autrement je
m'empresserais de
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