l'histoire 
véritable, et nos descendants seront heureux de connaître les péripéties 
de la lutte d'où naquit leur liberté! 
Ils apprendront combien fut difficile dans notre siècle le progrès 
intellectuel et moral qui consiste à se «guérir des individus». Certes, un 
homme peut rendre de grands services à ses contemporains par 
l'énergie de sa pensée, la puissance de son action, l'intensité de son 
dévouement; mais, après avoir fait son oeuvre, qu'il n'ait pas la 
prétention de devenir un dieu, et surtout que, malgré lui, on ne le 
considère pas comme tel! Ce serait vouloir que le bien fait par 
l'individu se transformât en mal au nom de l'idole. Tout homme faiblit 
un jour après avoir lutté, et combien parmi nous cèdent à la fatigue, ou 
bien aux sollicitations de la vanité, aux embûches que tendent de 
perfides amis! Et même le lutteur fût-il resté vaillant et pur jusqu'à la 
fin, on lui prêtera certainement un autre langage que le sien, et même 
on utilisera les paroles qu'il a prononcées en les détournant de leur sens 
vrai. 
Ainsi voyez comment on a traité cette individualité puissante, Marx, en 
l'honneur duquel des fanatisés, par centaines de mille, lèvent les bras au 
ciel, se promettant d'observer religieusement sa doctrine! Tout un parti, 
toute une armée ayant plusieurs dizaines de députés au Parlement 
germanique, n'interprètent-ils pas maintenant cette doctrine marxiste 
précisément en un sens contraire de la pensée du maître? Il déclara que 
le pouvoir économique détermine la forme politique des sociétés, et 
l'on affirme maintenant en son nom que le pouvoir économique 
dépendra d'une majorité de parti dans les Assemblées politiques. Il 
proclama que «l'État, pour abolir le paupérisme, doit s'abolir lui-même, 
car l'essence du mal gît dans l'existence même de l'État!» Et l'on se met 
dévotement à son ombre pour conquérir et diriger l'État! Certes, si la 
politique de Marx doit triompher, ce sera, comme la religion du Christ,
à la condition que le maître, adoré en apparence, soit renié dans la 
pratique des choses. 
Les lecteurs de Domela Nieuwenhuis apprendront aussi à redouter le 
danger que présentent les voies obliques des politiciens. Quel est 
l'objectif de tous les socialistes sincères? Sans doute chacun d'eux 
conviendra que son idéal serait une société où chaque individu, se 
développant intégralement dans sa force, son intelligence et sa beauté 
physique et morale, contribuera librement à l'accroissement de l'avoir 
humain. Mais quel est le moyen d'arriver le plus vite possible à cet état 
de choses? «Prêcher cet idéal, nous instruire mutuellement, nous 
grouper pour l'entr'aide, pour la pratique fraternelle de toute oeuvre 
bonne, pour la révolution!», diront tout d'abord les naïfs et les simples 
comme nous.--«Ah! quelle est votre erreur! nous est-il répondu: le 
moyen est de recueillir des votes et de conquérir les pouvoirs publics». 
D'après ce groupe parlementaire, il convient de se substituer à l'État et, 
par conséquent, de se servir des moyens de l'État, en attirant les 
électeurs par toutes les manoeuvres qui les séduisent, en se gardant bien 
de heurter leurs préjugés. N'est-il pas fatal que les candidats au pouvoir, 
dirigés par cette politique, prennent part aux intrigues, aux cabales, aux 
compromis parlementaires? Enfin, s'ils devenaient un jour les maîtres, 
ne seraient-ils pas forcément entraînés à employer la force, avec tout 
l'appareil de répression et de compression qu'on appelle l'armée 
citoyenne ou nationale, la gendarmerie, la police et tout le reste de 
l'immonde outillage? C'est par cette voie si largement ouverte depuis le 
commencement des âges, que les novateurs arriveront au pouvoir, en 
admettant que les baïonnettes ne renversent pas le scrutin avant la date 
bienheureuse. 
Le plus sûr encore est de rester naïfs et sincères, de dire simplement 
quelle est notre énergique volonté, au risque d'être appelés utopistes par 
les uns, abominables, monstrueux, par les autres. Notre idéal formel, 
certain, inébranlable est la destruction de l'État et de tous les obstacles 
qui nous séparent du but égalitaire. Ne jouons pas au plus fin avec nos 
ennemis. C'est en cherchant à duper que l'on devient dupe. 
Telle est la morale que nous trouvons dans l'oeuvre de Nieuwenhuis. 
Lisez-la, vous tous que possède la passion de la vérité et qui ne la 
cherchez pas dans une proclamation de dictateur ni dans un programme 
écrit par tout un conseil de grands hommes.
Élisée RECLUS. 
 
I 
LES DIVERS COURANTS 
DE LA DÉMOCRATIE SOCIALISTE ALLEMANDE 
Au Congrès des démocrates-socialistes allemands tenu à Erfurt en 1891, 
une lutte s'est engagée, qui intéresse au plus haut degré le mouvement 
socialiste du monde entier, car, avec une légère nuance de terminologie, 
elle se reproduit identiquement entre les différentes fractions du parti 
socialiste. 
D'un côté (à droite) était Vollmar, l'homme que l'on s'attendait à voir 
sous peu se mettre à la tête des radicaux, comme, du reste, il l'avait déjà 
fait pressentir au Congrès de Halle. Il fit un discours qui, sous    
    
		
	
	
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