Le sergent Renaud | Page 3

Pierre Sales
peine. D'un geste timide,
Marie montra la porte de la chambre.
--Ah! oui! fit-il, le numéro 2... oui... oui...
Il devenait soudain plus poli. Il avait reçu de si grosses étrennes du
locataire de cette chambre!
--Attendez, mademoiselle!
Il descendit presque d'un bond et remonta avec la clef.
--Voici, mademoiselle, entrez donc.
Marie eut une seconde d'espoir.
--Il va venir bientôt? interrogea-t-elle en s'asseyant.
--Dame! Je pense... fit le garçon d'un air niais.
Puis, la dévisageant:
--Je me rappelle... C'est vous qui êtes venue, il y a un mois?
--Oui; mais dites-moi si M. Berthier rentrera bientôt?
--Ah! mademoiselle, il ne m'a pas prévenu; l'autre fois, il m'avait avisé
la veille... on avait apporté des fleurs... Evidemment, il va venir, s'il
vous a donné rendez-vous!

Et il souriait encore plus niaisement. Marie s'était mise à trembler. Elle
entrevoyait une horrible réalité, un mensonge odieux. Est-ce que cette
chambre n'était pas le véritable domicile de Jean?
--Il n'habite donc pas ici? prononça-t-elle fiévreusement.
--Naturellement, mademoiselle, puisqu'il n'a pris cette chambre que
pour ses rendez-vous!
Il sembla à Marie que la maison s'écroulait sur elle; et elle s'affaissa
dans un fauteuil, tandis que le garçon allait voir si M. Jean Berthier
n'arrivait pas. Elle comprenait qu'elle avait été indignement trahie. Mais,
quand le domestique revint, pour dire qu'il avait regardé le boulevard
dans toute sa longueur, et qu'il n'avait aperçu personne ressemblant à M.
Jean Berthier, Marie était debout. Une pâleur livide s'était répandue sur
son visage; mais elle résistait à ses larmes. Elle donna cinq francs au
domestique.
--Voudriez-vous porter une lettre chez M. Jean Berthier?
--Ce serait avec plaisir, mademoiselle, dit-il, empochant la pièce; mais
nous ignorons son adresse...
--Bien, dit Marie, semblant toujours très calme, bien; je reviendrai une
autre fois.
Et elle se dirigea vers la porte.
--Mais si, par hasard, M. Berthier passait par ici, avant que vous l'ayez
vu, que faudrait-il lui dire, mademoiselle?
--Rien!
Elle prononça ce: «Rien!» d'une voix mourante. Qu'aurait-elle à dire, en
effet, à cet homme qu'elle avait tant aimé et qui avait si
abominablement abusé d'elle? A chaque marche de l'escalier, elle dut
s'arrêter et respirer un peu. Le domestique la suivait, avec le respect
d'un homme bien payé.

Marie faillit tomber en traversant le trottoir, assez large en cet endroit.
Le garçon ouvrit la portière de sa voiture et dut la soutenir pour la faire
monter.
--Où faut-il conduire mademoiselle?
--Place des Vosges, balbutia-t-elle.
Et la voiture se fut à peine ébranlée qu'elle s'affalait sur les coussins,
pleurant à grands sanglots et bégayant:
--Oh!... Jean... Jean... Mon adoré... Toi! Avoir fait cela!...
Quand la voiture arriva place des Vosges, elle pleurait encore.
[Illustration: A chaque marche de l'escalier elle dut s'arrêter et respirer
un peu. (Page 8.)]
--Quel numéro? demanda le cocher.
Elle descendit à l'entrée de la rue de Birague, ne voulant pas que sa
grand'mère la vît arriver en voiture. Elle se traîna jusqu'au jardin, s'assit
sur un banc entouré de verdure. Et elle pleura encore.
Enfin, songeant à sa grand'mère, elle regagna sa maison.
Maman Renaud n'osa pas lui dire combien elle avait été inquiète; elle
demanda seulement, lui voyant les mains vides:
--Tu ne rapportes pas d'ouvrage de chez Mme Welher?
--Non, rien, grand'mère! Je dois y retourner demain...
--Et... pas de lettre en bas?
--Non, pas de lettre, prononça Marie avec un étrange sourire.
--Ce sera pour ce soir... ou pour demain dit la grand'mère affectant un
air tranquille.

--Non, maman Renaud, ni ce soir, ni demain... ni jamais!
C'était la première fois qu'elles parlaient si franchement de l'abandon de
Jean. La grand'mère se mit à dresser la la table pour le dîner. Marie
s'assit auprès de la fenêtre, regardant dans le vague. Leur repas fut bien
triste, bien silencieux. Marie ne mangeait que pour obéir à sa
grand'mère. Et la grand'mère prolongeait le repas: elle avait peur de
cette soirée qu'elles allaient passer, en face l'une de l'autre, sans un
travail pressé qui pût les distraire de leur douleur.
Cependant, Marie s'installa ensuite à sa table, comme d'habitude, et
rangea toutes ses fournitures, ses morceaux de mousseline, ses fines
broderies, ses dentelles, une foule de choses qui lui restaient parfois sur
ses commandes...
A neuf heures, maman Renaud descendit. Elle avait fixé sa dernière
limite d'espoir à cette soirée: Jean allait leur écrire, sûrement, pour les
rassurer, et expliquer sa conduite de la façon la plus naturelle.--Quand
la concierge lui eut dit, d'un air un peu goguenard, que le facteur était
passé et n'avait rien laissé pour elles, elle remonta lourdement. Tout
était bien fini!
Elle pénétra sans rien dire dans le petit logement et contempla sa fille,
qui leva à peine la tête pour lui sourire. Et aussitôt, Marie se remit à
une besogne qu'elle avait entreprise: elle cousait de minces bandes de
mousseline, séparées par
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