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ineffaçable, et pardessus tous les autres leur nom restera populaire. Tels 
sont Jehan de Meung, Rabelais, Molière, Voltaire, et de nos jours 
Victor Hugo.
Autour de ces astres rayonnants viennent graviter une foule de satellites, 
dont l'éclat quelquefois semble faire pâlir ces soleils et les éclipser. 
Mais, au moment où ils semblent près de s'éteindre, on les voit soudain, 
s'embraser de nouveau, concentrer sur eux-mêmes tous les feux 
dispersés des étoiles qui les entourent, et inonder de lumière leur siècle 
tout entier. 
Tel est Jehan de Meung et son _Roman de la Rose_. 
En 1816, M. Renouard écrivait dans le _Journal des Savants:_ 
«Le _Roman de la Rose_ est l'un des monuments les plus remarquables 
de notre ancienne poésie. Par son succès et sa célébrité, ayant jadis 
influé sur l'art d'écrire et sur les moeurs, il fut longtemps l'objet d'une 
admiration outrée et d'une critique sévère, et toutefois mérita une juste 
part des éloges et des reproches qui lui furent prodigués.» 
Ces quelques lignes sont le résumé le plus clair et le plus net qu'on 
puisse tirer de tout ce qui fut écrit depuis deux cents ans sur ce fameux 
livre. Bref, ce jugement, qui n'en est pas un, est accepté sans appel 
aujourd'hui; cette sentence a fait loi. 
[p. IX] Or, nous nous sommes toujours méfié de ces jugements à la 
Salomon, qui n'ont d'autre but que de contenter tout le monde, mais 
n'avancent pas la question d'un iota. Nous avons été fort étonné de voir 
ainsi juger en trois mots une oeuvre pour et contre laquelle furent écrits 
des volumes entiers, une oeuvre qui, si nous en croyons les 
contemporains, a bouleversé son siècle, et trois cents ans après son 
apparition passionnait encore nos pères. 
Comment se fait-il qu'après un succès si prodigieux, cet ouvrage soit 
tombé dans un tel oubli, que personne ne le lise plus? Pourquoi ce 
silence si profond autour d'une oeuvre qui, à juste titre, passa pendant 
plusieurs siècles, et passe encore pour un des monuments les plus 
remarquables de la littérature française? Nul ne saurait l'expliquer 
autrement que par notre apathie naturelle et le dédain implacable dont 
les deux derniers siècles poursuivirent leurs devanciers, mais qui 
semble s'éteindre aujourd'hui.
Nous nous sommes dit cependant, avec Théophile Gautier, que nul ne 
dupe entièrement son époque, et que nos ancêtres, qui certes nous 
valaient bien, ne devaient pas avoir en vain prodigué une telle 
admiration, ni des critiques si violentes et si amères, à une oeuvre 
médiocre ou sans valeur. Nous entreprîmes donc de vérifier par 
nous-même ce qu'il y avait de fondé dans ces jugements si 
contradictoires, et nous croyons enfin avoir assis notre opinion d'une 
manière absolue et définitive, tout en permettant, grâce à cette nouvelle 
édition, à tous les lecteurs, quels qu'ils soient, de contrôler séance 
tenante nos arguments; car, en face du texte primitif, se trouve la 
traduction à peu près littérale de l'oeuvre tout entière. 
[p. X] En effet, l'expérience nous a montré combien il est dangereux, en 
littérature surtout, de se faire une opinion sur celle des autres. C'est 
ainsi que se sont perpétuées jusqu'à nous des erreurs dont nous sommes 
aujourd'hui profondément surpris. Le législateur du Parnasse français, 
Boileau lui-même, est très-discuté, et l'on commence à en appeler de 
ses arrêts, devant lesquels se sont inclinées dix générations successives. 
Aujourd'hui, las d'admirer le grand siècle et rien que le grand siècle, on 
s'est demandé si réellement il n'y avait rien à admirer au-delà, si nos 
ancêtres étaient aussi ignorants qu'ignorés, et l'on est arrivé à cette 
conclusion que nous seuls sommes des ignorants. 
Si par la science nous les avons dépassés, c'est en profitant de leurs 
conquêtes; mais il est un fait indéniable: c'est qu'on étudiait beaucoup 
au moyen âge, où l'on avait tant à apprendre et où les moyens 
d'apprendre étaient si restreints. 
A partir du XVIe siècle, plus on remonte, plus on est étonné de la 
profonde érudition et de l'incroyable activité des écrivains, c'est-à-dire 
des savants (ces deux mots étaient synonymes alors), car on ne faisait 
pas à cette époque, comme au grand siècle, sa fortune et sa réputation 
avec un sonnet ou une plate épître au plus flagorné des rois. 
e Or, en notre qualité d'enfant de l'Orléanais, rien ne pouvait exciter à 
un plus haut point notre curiosité que le fameux _Roman de la Rose_. 
Nous en entreprîmes l'étude il y a quelques années, avec l'intention de
la faire aussi complète et aussi consciencieuse que possible. Pour cela, 
il était de toute nécessité d'en faire la traduction, afin de pouvoir suivre 
l'oeuvre jusque dans ses moindres détails. Nous la commençâmes donc; 
puis, le charme aidant, bercé de la riante illusion du poète, nous nous 
prîmes à le suivre dans les sentiers fleuris de son paradis terrestre. Nous 
étions, comme l'Amant, ébloui, enivré, ravi. Mais comme    
    
		
	
	
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