Le roi Jean | Page 2

William Shakespeare
ni cette manière gênée de le peindre n'étaient susceptibles d'un grand effet dramatique; aussi Shakspeare a-t-il fait porter l'intérêt de sa pièce sur le sort du jeune Arthur; aussi a-t-il chargé Faulconbridge de ce r?le original et brillant où l'on sent qu'il se compla?t, et qu'il ne se refuse guère dans aucun de ses ouvrages.
Shakspeare a présenté le jeune duc de Bretagne à l'age où pour la première fois on eut à faire valoir ses droits après la mort de Richard, c'est-à-dire environ à douze ans. On sait qu'Arthur en avait vingt-cinq ou vingt-six, qu'il était déjà marié et intéressant par d'aimables et brillantes qualités lorsqu'il fut fait prisonnier par son oncle; mais le po?te a senti combien ce spectacle de la faiblesse aux prises avec la cruauté était plus intéressant dans un enfant; et d'ailleurs, si Arthur n'e?t été un enfant, ce n'est pas sa mère qu'il e?t été permis de mettre en avant à sa place; en supprimant le r?le de Constance, Shakspeare nous e?t peut-être privés de la peinture la plus pathétique qu'il ait jamais tracée de l'amour maternel, l'un des sentiments où il a été le plus profond.
En même temps qu'il a rendu le fait plus touchant, il en a écarté l'horreur en diminuant l'atrocité du crime. L'opinion la plus généralement répandue, c'est qu'Hubert de Bourg, qui ne s'était chargé de faire périr Arthur que pour le sauver, ayant en effet trompé la cruauté de son oncle par de faux rapports et par un simulacre d'enterrement, Jean, qui fut instruit de la vérité, tira d'abord Arthur du chateau de Falaise où il était sous la garde d'Hubert, se rendit lui-même de nuit et par eau à Rouen, où il l'avait fait renfermer, le fit amener dans son bateau, le poignarda de sa main, puis attacha une pierre à son corps et le jeta dans la rivière. On con?oit qu'un véritable po?te ait écarté une semblable image. Indépendamment de la nécessité d'absoudre son principal personnage d'un crime aussi odieux, Shakspeare a compris combien les laches remords de Jean, quand il voit le danger où le plonge le bruit de la mort de son neveu, étaient plus dramatiques et plus conformes à la nature générale de l'homme que cet excès d'une brutale férocité; et, certes, la belle scène de Jean avec Hubert, après la retraite des lords, suffit bien pour justifier un pareil choix. D'ailleurs le tableau que présente Shakspeare saisit trop vivement son imagination et acquiert à ses yeux trop de réalité pour qu'il ne sente pas qu'après la scène incomparable où Arthur obtient sa grace d'Hubert, il est impossible de supporter l'idée qu'aucun être humain porte la main sur ce pauvre enfant, et lui fasse subir de nouveau le supplice de l'agonie à laquelle il vient d'échapper; le po?te sait de plus que le spectacle de la mort d'Arthur, bien que moins cruel, serait encore intolérable si, dans l'esprit des spectateurs, il était accompagné de l'angoisse qu'y ajouterait la pensée de Constance; il a eu soin de nous apprendre la mort de la mère avant de nous rendre témoin de celle du fils; comme si, lorsque son génie a con?u, à un certain degré, les douleurs d'un sentiment ou d'une passion, son ame trop tendre s'en effrayait et cherchait pour son propre compte à les adoucir. Quelque malheur que peigne Shakspeare, il fait presque toujours deviner un malheur plus grand devant lequel il recule et qu'il nous épargne.
Le caractère du batard Faulconbridge a été fourni à Shakspeare par une pièce de Rowley, intitulée: The troublesome Reign of King John, qui parut en 1591, c'est-à-dire cinq ans avant celle de Shakspeare, composée, à ce qu'on croit, en 1596. La pièce de Rowley fut réimprimée en 1611 avec le nom de Shakspeare, artifice assez ordinaire aux libraires et aux éditeurs du temps. Cette circonstance, et l'aisance avec laquelle Shakspeare a puisé dans cet ouvrage, ont fait croire à plusieurs critiques qu'il y avait mis la main, et que la Vie et la mort du roi Jean n'était qu'une refonte du premier ouvrage; mais il ne para?t pas qu'il y ait eu aucune part.
Selon sa coutume, en empruntant à Rowley ce qui lui a convenu, Shakspeare a ajouté de grandes beautés à son orignal, mais il en a conservé presque toutes les erreurs. Ainsi Rowley a supposé que c'était le duc d'Autriche qui avait tué Richard Coeur de Lion, et en même temps il fait tuer le duc d'Autriche par Faulconbridge, personnage historique dont parle Mathieu Paris sous le nom de Fal?asius de Brente, fils naturel de Richard, et qui, selon Hollinshed, tua le vicomte de Limoges pour venger la mort de son père, tué, comme on sait, au siége de Chaluz, chateau appartenant à ce seigneur. Pour concilier la version de Hollinshed avec la sienne, Rowley a fait
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