qu'il y a de meilleur à la cuisine. Mme Saint-Vallier voudra bien t'aider 
un peu dans cette besogne, n'est-ce pas, chère amie? 
Mme SAINT-VALLIER--Sans doute, monsieur Jolin, je ne suis pas 
rancunière; et du reste je connais la cause première de votre mauvaise 
humeur. (Elle jette un regard de colère à sa fille.) 
(Jolin va donner quelques ordres à voix basse à Thibeault qui sort; 
Auguste s'est approché de Blanche.) 
AUGUSTE, bas à Blanche--Mademoiselle, ayez bon courage; je suis 
l'ami d'Adrien... nous veillerons sur vous. 
BLANCHE--Ah! merci! merci, monsieur!... Vous l'avez vu? Vous lui 
avez parlé? 
AUGUSTE--Chut! (Revenant s'asseoir.) Eh bien, oui, ma foi! Voilà 
comme va le monde!... Étrange chose que la destinée. C'est aujourd'hui 
le 25 juin. Il y a un an, jour pour jour, j'engloutissais dans un naufrage 
une fortune colossale, et j'étais jeté, seul, ruiné, presque nu, tout 
sanglant et à demi-mort sur l'une des îles de la Sonde, dans la mer 
australe. J'étais loin de m'attendre à célébrer cet anniversaire en ta 
compagnie, mon vieux Jolin. 
(Thibeault entre avec un plateau sur lequel il y a quelques mets que 
Mme Saint-Vallier s'empresse de disposer sur la table, pendant 
qu'Auguste s'approche, et se met à manger.) 
Mme SAINT-VALLIER--Vous avez eu bien des aventures, M. 
DesRivières? 
AUGUSTE--Ah! madame, on ne passe pas vingt-deux ans de sa vie à 
parcourir les mers les plus inconnues, les pays les plus inexplorés, sans 
amasser un certain recueil de ce que vous appelez des aventures. 
Mme SAINT-VALLIER--Vous avez même couru de grands dangers,
probablement? 
AUGUSTE--La mort est une coquette, madame; elle ne veut pas de 
ceux qui la cherchent. Et après tout ce qui m'est arrivé sur terre et sur 
mer, quand je me retrouve aujourd'hui soupant tranquillement sous le 
toit de mes ancêtres, je me demande si je n'ai pas été l'objet d'une 
protection toute particulière de la part de la providence. 
BLANCHE, à part--Il a dit qu'il l'avait vu, qu'il était son ami... C'est 
sans doute un protecteur que le ciel m'envoie... O Adrien!... 
AUGUSTE--Du reste, si la chose vous amuse, vous ne me trouverez 
pas chiche de mes histoires, Madame; soyez tranquille. 
Mme SAINT-VALLIER--Vous êtes bien aimable il me tarde de vous 
entendre nous raconter tout cela. Mais il commence à se faire tard, et 
pour ne pas vous gêner plus longtemps, vous me permettrez de me 
retirer avec ma fille... n'est-ce pas? 
AUGUSTE--Je suis votre serviteur, madame. (Il reconduit les dames, 
jusqu'à la porte, et revient se mettre à table.) 
SCÈNE IV 
AUGUSTE, JOLIN. 
JOLIN, à part--Tenons-nous bien. 
AUGUSTE--Eh bien, mon vieux Jolin, à nous deux maintenant! 
Veux-tu? 
JOLIN--D'après ce que je vois, vous revenez vous établir dans le pays? 
AUGUSTE--Oui! 
JOLIN--Le retour de l'enfant prodigue. 
AUGUSTE--L'enfant prodigue? Mais tu sais bien, vieux Jolin, que je 
n'ai pu comme lui dissiper mon héritage.
JOLIN--Sans doute, car vous n'aviez pu l'emporter. 
AUGUSTE--Tu feins de ne pas me comprendre... Tu dois bien penser 
cependant que mon intention, en remettant les pieds ici, est de 
revendiquer le dépôt que je t'ai confié en partant. C'est l'héritage de 
mon père, et après tant de revers, je ne serai pas fâché d'en jouir en 
paix. 
JOLIN--Mais, au moment de votre départ, vous m'avez cédé vos biens, 
par actes réguliers. 
AUGUSTE--Ah! très bien; mais tu oublies que cette vente était 
purement fictive, maître Jolin; car tu m'avais signé toi-même à l'avance 
une déclaration qui l'annulait. Cette déclaration, cette contre-lettre, 
comme on appelle les actes de ce genre, te constituait seulement 
dépositaire de ma fortune; tu étais obligé de tout me restituer à ma 
première demande. 
JOLIN--Mais... cette... contre-lettre... n'existe plus... sans doute... 
AUGUSTE--Eh bien, quand cela serait, la perte de cet acte serait-elle 
une raison pour un ancien serviteur de ma famille de retenir ce qui 
m'appartient légitimement? 
JOLIN, se levant brusquement--La contre-lettre est perdue! Ah! je le 
savais bien, moi; il ne faut jamais s'abandonner au désespoir! 
AUGUSTE, se levant de table--Jolin, je ne veux pas croire encore aux 
soupçons que tes paroles tendraient à m'inspirer. Il m'en coûterait trop 
de te regarder comme un fripon. 
JOLIN--Ah! ah! ah!... La bonne histoire, ce pauvre garçon revient tel 
qu'il est parti... ah! ah ah! C'est toujours le même écervelé que son père 
lui-même avait surnommé La Bourrasque. Ah! oui, La Bourrasque; pas 
de tête! pas de tête! Il vient réclamer cette fortune sans laquelle je ne 
pourrais plus vivre, et il n'a pas le précieux papier pour m'obliger à 
cette restitution. Il l'a perdu, le pauvre enfant... le pauvre niais... le 
pauvre fou!... Il l'a perdu... ah! ah! ah! il l'a perdu!
AUGUSTE--Comme tu vas vite en besogne, vieux Jolin! T'ai-je dit que 
cet acte était perdu? Est-il si difficile de conserver une feuille de 
papier? 
JOLIN--Hein! c'était donc une épreuve? 
AUGUSTE--Peut-être. Dans tous les cas, cette épreuve ne t'a pas été 
favorable; aussi je me    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.