Le renard | Page 2

Johann Wolfgang von Goethe
morceau de chapon gras. Que je vous raconte le tour qu'il a fait hier à Lampe le lièvre; le voici devant vous, cet homme qui n'offensa jamais personne. Reineke joua le dévot et s'offrit à lui enseigner rapidement tous les chants d'église et tout ce que doit savoir un sacristain; ils s'assirent en face l'un de l'autre et commencèrent le Credo. Mais Reineke ne pouvait pas renoncer à ses anciennes pratiques: au milieu de la paix proclamée par notre roi et malgré son sauf-conduit, il tint Lampe serré dans ses griffes et colleta astucieusement l'honnête homme. Je passais près de là; j'entendis leur chant, qui, à peine commencé, cessa tout à coup; je m'en étonnai. Mais, lorsque j'arrivai près d'eux, je reconnus Reineke; il tenait Lampe par le collet, et certes il lui e?t ?té la vie si, par bonheur, je n'étais pas allé par là. Le voilà! regardez les blessures de cet homme pieux. Et maintenant, sire, et vous, seigneurs, souffrirez-vous que la paix du roi, son édit et son sauf-conduit soient le jouet d'un voleur? Oh! alors le roi et ses enfants entendront encore longtemps les reproches des gens qui aiment le droit et la justice!?
Isengrin ajouta: ?Il en sera ainsi et malheureusement Reineke ne changera pas. Oh! que n'est-il mort depuis longtemps! ce serait à souhaiter pour les gens pacifiques; mais, si on lui pardonne encore cette fois, il dupera audacieusement ceux qui s'en doutent le moins maintenant.?
Le neveu de Reineke, le blaireau, prit maintenant la parole et défendit courageusement Reineke, dont la fausseté pourtant était bien connue: ?Seigneur Isengrin, dit-il, le vieux proverbe a bien raison: ?N'attends rien de bon d'un ennemi.? Vraiment mon oncle n'a pas à se louer de vos discours; mais cela vous est facile. S'il était comme vous à la cour et qu'il jouit de la faveur du roi, vous pourriez vous repentir d'avoir parlé si malignement de lui et d'avoir renouvelé ces vieilles histoires. En revanche, ce que vous avez fait de mal à Reineke vous l'oubliez et cependant, plus d'un seigneur le sait, vous aviez fait un pacte et juré de vivre en bons compagnons. Voici l'histoire: vous verrez à quels dangers il s'est exposé, un hiver, à cause de vous. Un voiturier passait la route, conduisant une cargaison de poisson; vous l'aviez flairé et vous auriez voulu pour beaucoup go?ter de sa marchandise. Malheureusement, l'argent vous manquait. Vous v?ntes trouver mon oncle; vous le décidez et il s'étend sur le chemin comme s'il était mort. Par le ciel! c'était une ruse bien audacieuse. Mais attendez, vous verrez quelle fut sa part du poisson. Le voiturier arrive et voit mon oncle dans l'ornière: il tire vivement son couteau pour l'éventrer. Le prudent Reineke ne bouge pas plus que s'il était mort; le voiturier le jette sur son chariot et se réjouit de sa trouvaille. Oui, voilà ce que mon oncle a osé pour Isengrin! Tandis que le voiturier continuait sa route, Reineke jetait les poissons en bas; Isengrin venait de loin tout à son aise et mangeait les poissons. Cette manière de voyager ne plut pas longtemps à Reineke. Il se leva, sauta à bas et vint demander sa part du butin; mais Isengrin avait tout dévoré, et si bien, qu'il en pensa crever; il n'avait laissé que les arêtes, qu'il offrit, du reste, à son ami. Voici un autre tour que je veux aussi vous raconter: Reineke avait appris qu'il y avait chez un paysan un cochon gras, tué le jour même, pendu au clou; il le dit fidèlement au loup. Ils partent ensemble pour partager loyalement le profit et les dangers; mais la peine et le danger furent pour Reineke seul; car il s'introduisit par la fenêtre et à grande peine jeta la proie commune au loup resté au dehors. Par malheur, il y avait là tout près des chiens qui flairèrent Reineke dans la maison et le houspillèrent d'importance; il leur échappa tout blessé, alla bien vite trouver Isengrin, lui raconta ses malheurs et demanda sa part du butin: ?Je t'ai gardé un délicieux morceau,? lui dit celui-ci: ?tu n'as qu'à t'y mettre et le bien ronger, tu m'en diras des nouvelles!? Et il lui apporta le morceau: c'était le crochet en bois après lequel le paysan avait pendu le cochon; le r?ti tout entier, ce morceau de roi, avait été dévoré par le loup, aussi injuste que glouton. Reineke, suffoqué de colère, ne put rien dire; mais ce qu'il pensait, vous le pensez bien vous-même. Sire, certainement le loup a fait plus de cent pareils tours à mon oncle; mais je les passe sous silence. Si Reineke est mandé devant vous, il saura bien mieux se défendre; en attendant, très-gracieux roi et noble souverain, j'oserai faire une remarque: vous avez entendu, et ces seigneurs aussi, de
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