l'intelligence sous un principe unique 
qui leur donne à toutes un tour nouveau?--Oui; seulement il faut 
démêler ce principe.--C'est votre affaire, et j'espère bien que vous allez 
vous en charger.--Mais je vais tomber dans les abstractions.--Il n'y a 
pas de mal.--Mais tout ce raisonnement serré sera comme une haie 
d'épines.--Nous nous piquerons les doigts.--Mais les trois quarts des 
gens jetteraient là ces spéculations comme oiseuses.--Tant pis pour eux. 
Pourquoi vit une nation ou un siècle, sinon pour les former? On n'est 
complètement homme que par là. Si quelque habitant d'une autre 
planète descendait ici pour nous demander où en est notre espèce, il 
faudrait lui montrer les cinq ou six grandes idées que nous avons sur 
l'esprit et le monde. Cela seul lui donnerait la mesure de notre 
intelligence. Exposez-moi votre théorie; je m'en retournerai plus 
instruit qu'après avoir vu les las de briques que vous appelez Londres et 
Manchester. 
* * * * * 
§ I. L'EXPÉRIENCE 
I 
Alors, nous allons prendre les choses en logiciens, par le 
commencement. Stuart Mill a écrit une logique. Qu'est-ce que la 
logique? C'est une science. Quel est son objet? Ce sont les sciences: car 
supposez que vous ayez parcouru l'univers et que vous le connaissiez 
tout entier, astres, terre, soleil, chaleur, pesanteur, affinités, espèces 
minérales, révolutions géologiques, plantes, animaux, événements 
humains, et tout ce qu'expliquent ou embrassent les classifications et 
les théories; il vous restera encore à connaître ces classifications et ces
théories. Non-seulement il y a l'ordre des êtres, mais il y a encore 
l'ordre des pensées qui les représentent; non-seulement il y a des 
plantes et des animaux, mais encore il y a une botanique et une 
zoologie; non-seulement il y a des lignes, des surfaces, des volumes et 
des nombres, mais encore il y a une géométrie et une arithmétique. Les 
sciences sont donc des choses réelles comme les faits eux-mêmes: elles 
peuvent donc être, comme les faits, un sujet d'étude. On peut les 
analyser comme on analyse les faits, rechercher leurs éléments, leur 
composition, leur ordre, leurs rapports et leur fin. Il y a donc une 
science des sciences: c'est cette science qu'on appelle logique, et qui est 
l'objet du livre de Stuart Mill. Ou n'y décompose point les opérations de 
l'esprit en elles-mêmes, la mémoire, l'association des idées, la 
perception extérieure: ceci est une affaire de psychologie. On n'y 
discute pas la valeur de ces opérations, la véracité de notre intelligence, 
la certitude absolue de nos connaissances élémentaires; ceci est une 
affaire de métaphysique. On y suppose nos facultés en exercice, et l'on 
y admet leurs découvertes originelles. On prend l'instrument tel que la 
nature nous le fournit, et l'on se fie à son exactitude. On laisse à d'autres 
le soin de démonter son mécanisme et la curiosité de contrôler ses 
résultats. On part de ses opérations primitives; on recherche comment 
elles s'ajoutent les unes aux autres, comment elles se combinent les 
unes avec les autres, comment elles se transforment les unes les autres; 
comment, à force d'additions, de combinaisons et de transformations, 
elles finissent par composer un système de vérités liées et croissantes. 
On fait la théorie de la science comme d'autres font la théorie de la 
végétation, de l'esprit, des nombres. Voilà l'idée de la logique, et il est 
clair qu'elle a, au même titre que les autres sciences, sa matière réelle, 
son domaine distinct, son importance visible, sa méthode propre et son 
avenir certain. 
 
II 
Ceci posé, remarquez que toutes ces sciences, objet de la logique, ne 
sont que des amas de propositions, et que toute proposition ne fait que 
lier ou séparer un sujet et un attribut, c'est-à-dire un nom et un autre 
nom, une qualité et une substance, c'est-à-dire une chose et une autre
chose. Cherchons donc ce que nous entendons par une chose, ce que 
nous désignons par un nom; en d'autres termes, ce que nous 
connaissons dans les objets, ce que nous lions et séparons, ce qui est la 
matière de toutes nos propositions et de toutes nos sciences. Il y a un 
point par lequel se ressemblent toutes nos connaissances. Il y a un 
élément commun qui, perpétuellement répété, compose toutes nos idées. 
Il y a un petit cristal primitif qui, indéfiniment et diversement ajouté à 
lui-même, engendre la masse totale, et qui, une fois connu, nous 
enseigne d'avance les lois et la composition des corps complexes qu'il a 
formés. 
Or, quand nous regardons attentivement l'idée que nous nous faisons 
d'une chose, qu'y trouvons-nous? Prenez d'abord les substances, 
c'est-à-dire les corps et les esprits[1]. Cette table est brune, longue, 
large et haute de trois pieds à l'oeil: cela signifie qu'elle fait une petite 
tache dans le champ de la vision, en d'autres termes qu'elle produit une 
certaine sensation dans le nerf optique. Elle pèse dix livres: cela 
signifie qu'il faudra    
    
		
	
	
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