Le nain noir | Page 2

Sir Walter Scott
il nous faut travailler rudement avec la charrue et la houe; ?a n'irait guère bien de s'asseoir sur le tertre des genêts pour y jaser à propos du Nain noir et autres niaiseries, comme on faisait autrefois, lorsque c'était le temps des courtes brebis.
--Oui bien, oui bien, ma?tre, dit le serviteur, mais les courtes brebis payaient de courtes rentes, que, je crois.
Ici mon respectable et savant patron s'interposa de nouveau, et remarqua qu'il n'avait jamais pu apercevoir aucune différence matérielle, en fait de longueur, entre une brebis et une autre.
Cette remarque occasionna un grand éclat de rire de la part du fermier, et un air d'étonnement de la part du berger.--C'est la laine, mon brave homme, c'est la laine, et non la bête elle-même, qui fait appeler la brebis courte ou longue. Je crois que si vous mesuriez leur dos, la courte brebis serait la plus longue des deux, mais c'est la laine qui paie la rente au jour où nous sommes, et nous en avons bon besoin.
--Sans doute, Bauldy a bien parlé, les courtes brebis payaient de courtes rentes, mon père ne donnait pour notre ferme que soixante pounds, et elle m'en co?te à moi trois cents, pas un plack ni un bowbie de moins (Le pound d'écosse ne vaut que la vingtième partie du pound anglais ou livre sterling, environ un shelling ou vingt-cinq sous de notre monnaie. Le plack et le bowbie répondent à peu près à nos liards); et il est vrai aussi que je n'ai pas le temps de rester ici à conter des histoires.--Mon h?te, servez-nous à déjeuner, et voyez si nos rosses ont à manger. Il me faut aller voir Christy Wilson, afin de nous entendre sur le luckpenny (C'est l'escompte qu'obtient dans un marché celui qui paie comptant), que je lui dois, depuis notre dernier compte; nous avions bu six pintes ensemble en faisant le marché à la foire de Saint Boswell; et j'espère que nous n'en viendrons pas à un procès, dussions-nous passer autant d'heures à régler ce petit compte qu'il nous en co?ta pour le marché lui-même. Mais, écoutez, voisin, ajouta-t-il en s'adressant à mon digne et savant patron, si vous voulez savoir quelque chose de plus sur les brebis longues et les brebis courtes, je reviendrai manger ma soupe aux choux vers une heure de l'après-midi, ou si vous voulez entendre de vieilles histoires sur le Nain noir, et d'autres semblables, vous n'aurez qu'à inviter Bauldy, que voici, à boire une demi-pinte; il vous craquera comme un canon de plume. Et je promets de fournir moi-même une pinte entière si je m'arrange avec Christy Wilson.
Le fermier revint à l'heure dite, et avec lui Christy Wilson, leur différend ayant été terminé sans qu'ils eussent eu recours aux messieurs en robes longues. Mon digne et savant patron ne manqua pas de se trouver à leur arrivée, autant pour entendre les contes promis, que pour les rafra?chissements dont il avait été question, quoiqu'il soit reconnu pour être très modéré sur l'article de la bouteille.
Notre h?te se joignit à nous, et nous restames autour de la table jusqu'au soir, assaisonnant la liqueur avec maintes chansons et maints contes. Le dernier incident que je me rappelle fut la chute de mon savant et digne patron, qui tomba de sa chaise en concluant une longue morale sur la tempérance par deux vers du gentil berger (Pastorale de Ramsay), qu'il appliqua très heureusement à l'ivresse, quoi que le poète parle de l'avarice:
?En avez-vous assez, dormez tranquillement;
?Le superflu n'est bon qu'à causer du tourment.?
Dans le cours de la soirée, le Nain noir n'avait pas été oublié: le vieux berger Bauldy nous fit sur ce personnage un grand nombre d'histoires qui nous intéressèrent vivement. Il parut aussi, avant que nous eussions vidé le troisième bol de punch, qu'il y avait beaucoup d'affectation dans le scepticisme prétendu de notre fermier, qui croyait sans doute qu'il ne convenait pas à un homme faisant une, rente annuelle de trois cents livres de croire les traditions de ses ancêtres; mais au fond du coeur il y avait foi. Selon mon usage, je poussai plus avant mes recherches, en m'adressant à d'autres personnes qui connaissaient le lieu où s'est passée l'histoire suivante, et je parvins heureusement à me faire expliquer certaines circonstances qui mettent dans leur vrai jour les récits exagérés des traditions vulgaires.
CHAPITRE II
?Vous voulez donc, passer pour Hearne le chasseur?? Shakespeare. (Les Joyeuses Femmes de Windsor.) (Dans la pièce d'où ce vers est tiré, on persuade Falstaff de se faire passer pour Hearne le chasseur, espèce d'esprit qui revient, dans la forêt de Windsor. C'est une des mystifications dont le pauvre chevalier est la dupe.)
Dans un des cantons les plus reculés du sud de l'écosse (L'auteur désigne ici le comté de Roxhurgh), où une ligne imaginaire, tracée sur le froid sommet
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