de sincérité et tant de grâce. Il allait parler, persuader. La 
minute était décisive... Mais la porte s'ouvrit, et le petit domestique 
parut... M. le duc faisait demander si Mademoiselle souffrait toujours 
de sa migraine, ce soir... 
«Toujours autant,» dit-elle avec humeur. 
Le domestique sorti, il y eut entre eux un moment de silence, un froid 
glacial. Paul s'était levé. Elle continuait son croquis, la tête toujours 
penchée.
Il fit quelques pas dans l'atelier; puis revenu vers la table, il demanda 
doucement, étonné de se sentir si calme: 
«C'est le duc de Mora qui devait dîner ici? 
--Oui... je m'ennuyais... un jour de spleen... Ces journées-là sont 
mauvaises pour moi... 
--Est-ce que la duchesse devait venir? 
--La duchesse?... Non. Je ne la connais pas. 
--Eh bien! à votre place, je ne recevrais jamais chez moi, à ma table, un 
homme marié dont je ne verrais pas la femme... Vous vous plaignez 
d'être une abandonnée; pourquoi vous abandonner vous-même?... 
Quand on est sans reproche, il faut se garder du soupçon... Est-ce que je 
vous fâche? 
--Non, non, grondez-moi, Minerve... Je veux bien de votre morale. Elle 
est droite et franche, celle-là; elle ne clignote pas comme celle des 
Jenkins... Je vous l'ai dit, j'ai besoin qu'on me conduise...» 
Et jetant devant lui le croquis qu'elle venait de terminer: 
«Tenez! voilà l'amie dont je vous parlais... Une affection profonde et 
sûre que j'ai eu la folie de laisser perdre comme une gâcheuse que je 
suis... C'est elle que j'invoquais dans les moments difficiles, quand il 
fallait prendre une décision, faire quelque sacrifice... Je me disais: 
«Qu'en pensera-t-elle?» comme nous nous arrêtons dans un travail 
d'artiste pour songer à quelque grand, à un de nos maîtres... Il faut que 
vous soyez cela pour moi. Voulez-vous?» 
Paul ne répondit pas. Il regardait le portrait d'Aline. C'était elle, c'était 
bien elle, son profil pur, sa bouche railleuse et bonne, et la longue 
boucle en caresse sur le col fin. Ah! tous les ducs de Mora pouvaient 
venir maintenant. Félicia n'existait plus pour lui. 
Pauvre Félicia, douée de pouvoirs supérieurs, elle était bien comme ces
magiciennes qui nouent et dénouent les destins des hommes sans 
pouvoir rien pour leur propre bonheur. 
«Voulez-vous me donner ce croquis?» dit-il tout bas, la voix émue. 
--Très-volontiers... Elle est gentille, n'est-ce pas?... Ah! ma foi, celle-là, 
si vous la rencontrez, aimez-la, épousez-la. Elle vaut mieux que toutes. 
Pourtant, à défaut d'elle... à défaut d'elle...» 
Et le beau sphinx apprivoisé levait vers lui ses grands yeux mouillés et 
rieurs, dont l'énigme n'avait plus rien d'indéchiffrable. 
 
XIV 
L'EXPOSITION 
«Superbe... 
--Un succès énorme. Barye n'a jamais rien fait d'aussi beau. 
--Et le buste du Nabab?... Quelle merveille? C'est Constance Crenmitz 
qui est heureuse. Regardez-la trotter... 
--Comment! c'est la Crenmitz cette petite vieille en mantelet d'hermine! 
Voilà vingt ans que je la croyais morte.» 
Oh! non, bien vivante au contraire. Ravie, rajeunie par le triomphe de 
sa filleule, qui tient décidément le succès de l'Exposition, elle circule 
parmi la foule d'artistes, de gens du monde formant aux deux endroits 
où sont exposés les envois de Félicia, comme deux masses de dos noirs, 
de toilettes mêlées, se pressant, s'étouffant pour regarder. Constance, si 
timide d'ordinaire, se glisse au premier rang, écoute les discussions, 
attrape au vol des bouts de phrases, des formules qu'elle retient, 
approuve de la tête, sourit, lève les épaules lorsqu'elle entend dire une 
bêtise, tentée de foudroyer le premier qui n'admirerait pas.
Que ce soit la bonne Crenmitz ou une autre, vous la verrez à toutes les 
ouvertures du salon, cette silhouette furtive rôdant autour des 
conversations, l'air anxieux, l'oreille tendue; quelquefois un vieux 
bonhomme de père dont le regard vous remercie d'un mot aimable dit 
en passant, ou prend une expression désolée pour une épigramme qu'on 
lance à l'oeuvre d'art et qui va frapper un coeur derrière vous. Une 
figure à ne pas oublier, certainement, si jamais quelque peintre épris de 
modernité songeait à fixer sur une toile cette manifestation bien typique 
de la vie parisienne, une ouverture d'exposition dans cette vaste serre de 
la sculpture, aux allées sablées de jaune, à l'immense plafond en vitrage 
sous lequel se détachent à mi-hauteur les tribunes du premier étage 
garnies de têtes penchées qui regardent, de draperies flottantes 
improvisées. 
Dans une lumière un peu froide, pâlie à ces tentures vertes du pourtour, 
où les rayons se raréfient, dirait-on, pour laisser à la vue des 
promeneurs une certaine justesse recueillie, la foule lente va et vient, 
s'arrête, se disperse sur les bancs, serrée par groupes, et pourtant mêlant 
les mondes mieux qu'aucune autre assemblée, comme la saison mobile 
et changeante, à cette époque de l'année, confond toutes les parures, fait 
se frôler au passage les dentelles noires, la traîne impérieuse de la 
grande dame venue pour voir l'effet de son portrait, et les fourrures 
sibériennes de    
    
		
	
	
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