pu, dans son sommeil, écouter et 
comprendre les pensées maternelles. 
--Sois tranquille, lui disait-elle, je ne _l'aime_ pas plus que toi. N'en 
sois pas jaloux. S'il n'était pas le meilleur et le plus digne des hommes, 
je ne te le donnerais pas pour père. Va, petit ange, tu es ardemment et 
fidèlement aimé. Dors bien, nous ne nous quitterons jamais! Marcelle, 
toute baignée de larmes délicieuses, rentra dans sa chambre et écrivit à 
Lémor ce peu de lignes: 
«Vous avez raison, et je vous comprends. Je ne suis pas digne de vous; 
mais je le deviendrai, car je le veux. Je vais partir pour un long voyage. 
Ne vous inquiétez pas de moi, et aimez-moi encore. Dans un an, à 
pareil jour, vous recevrez une lettre de moi. Disposez votre vie de 
manière à être libre de venir me trouver en quelque lieu que je vous 
appelle. Si vous ne me jugez pas encore assez convertie, vous me
donnerez encore un an... un an, deux ans, avec l'espérance, c'est 
presque le bonheur pour deux êtres qui, depuis si longtemps, s'aiment 
sans rien espérer.» 
Elle fit porter ce billet de grand matin. Mais on ne trouva point M. 
Lémor. Il était parti la veille au soir, on ne savait pour quel pays, ni 
pour combien de temps. Il avait donné congé de son modeste logement. 
On assurait pourtant que la lettre lui parviendrait, parce qu'un de ses 
amis était chargé de venir tous les jours retirer sa correspondance pour 
la lui faire passer. 
Deux jours après, madame de Blanchemont avec son fils, une femme 
de chambre et un domestique, traversait en poste les déserts de la 
Sologne. 
Arrivée à quatre-vingts lieues de Paris, la voyageuse se trouva à peu 
près au centre de la France et coucha dans la ville la plus voisine de 
Blanchemont dans cette direction. Blanchemont était, encore éloigné de 
cinq à six lieues, et, dans le centre de la France, malgré toutes les 
nouvelles routes ouvertes à la circulation depuis quelques années, les 
campagnes ont encore si peu de communication entre elles, qu'à une 
courte distance il est difficile d'obtenir des habitants un renseignement 
certain sur l'intérieur des terres. Tous savent bien le chemin de la ville 
ou du district forain où leurs affaires les appellent de temps en temps. 
Mais demandez dans un hameau le chemin de la ferme qui est à une 
lieue de là, c'est tout au plus si on pourra vous le dire. Il y a tant de 
chemins!... et tous se ressemblent. Réveillés de grand matin pour 
disposer le départ de leur maîtresse, les domestiques de madame de 
Blanchemont ne purent donc obtenir ni du maître de l'auberge, ni de ses 
serviteurs, ni des voyageurs campagnards qui se trouvaient là encore à 
moitié endormis, aucune lumière sur la terre de Blanchemont. Personne 
ne savait précisément où elle était située. L'un venait de Montluçon, 
l'autre connaissait Château-Meillant; tous avaient cent fois traversé 
Ardentes et La Châtre; mais on ne connaissait de Blanchemont que le 
nom. 
--C'est une terre qui a du rapport, disait l'un, je connais le fermier, mais 
je n'y ai jamais été. C'est très-loin de chez nous, c'est au moins à quatre 
grandes lieues. 
--Dame! disait un autre, j'ai vu les boeufs de Blanchemont à la foire de 
la Berthenoux, pas plus tard que l'an dernier, et j'ai parlé à M. Bricolin,
le fermier, comme je vous parle à cette heure. _Ah oui! ah oui!_ je 
connais Blanchemont! mais je ne sais pas de quel côté ça se trouve. 
La servante, comme toutes les servantes d'auberge, ne savait rien des 
environs. Comme toutes les servantes d'auberge, elle était depuis peu 
de temps dans l'endroit. 
La femme de chambre et le domestique, habitués à suivre leur 
maîtresse dans de brillantes résidences connues à plus de vingt lieues à 
la ronde, et situées dans des contrées civilisées, commençaient à se 
croire au fond du Sahara. Leurs figures s'allongeaient, et leur 
amour-propre souffrait cruellement d'avoir à demander sans succès le 
chemin du château qu'ils allaient honorer de leur présence. 
--C'est donc une baraque, une tanière? disait Suzette d'un air de mépris 
à Lapierre. 
--C'est le palais des _Corybantes_, répondait Lapierre, qui avait chéri 
dans sa jeunesse un mélodrame à grand succès intitulé le _Château de 
Corisande_, et qui appliquait ce nom, en l'estropiant, à toutes les ruines 
qu'il rencontrait. 
Enfin, le garçon d'écurie fut frappé d'un trait de lumière. 
--J'ai là-haut dans l'abat-foin, dit-il, un homme qui vous dira ça, car son 
métier est de courir le pays de jour et de nuit. C'est le Grand-Louis, 
autrement dit le grand farinier. 
--Va pour le grand farinier, dit Lapierre d'un air majestueux, il paraît 
que sa chambre à coucher est au bout de l'échelle? 
Le grand farinier descendit de son grenier en tiraillant et en faisant 
craquer    
    
		
	
	
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