Le marquis de Loc-Ronan | Page 9

Ernest Capendu
vos amis de Gand et de Coblentz nous considèrent, nous, les vrais défenseurs du tr?ne, comme des laquais qui gardent leurs places au spectacle. Si vous leur écrivez, rappelez-leur ce que je vais vous dire; et, si vous ne leur écrivez pas, faites-en votre profit vous-même.
--Qu'est-ce donc, je vous prie?
--C'est que, n'ayant rien fait, ils n'ont droit à rien, et qu'ils ne pourront être désormais quelque chose qu'avec notre permission et notre volonté.
--Très bien! dirent les autres chefs.
--Et quant à vous, monsieur, vous n'aurez le droit de parler ici, devant ces messieurs, devant moi, que quand vous aurez accompli seulement la moitié de ce que chacun de nous a fait. Je ne vous en demande que la moitié, attendu que je vous crois incapable d'en essayer davantage.
--Et moi, répondit le marquis, je vous préviens qu'à partir de ce jour vous n'êtes qu'un simple soldat.
--En vertu de quoi?
--En vertu de ceci.
Et le gentilhomme posa un papier plié sur la table.
--Qu'est-ce que cela? demanda Boishardy.
--Une commission de monseigneur le régent du royaume, Son Altesse Royale le comte de Provence.
--Un brevet de maréchal de camp, fit Boishardy en lisant froidement le papier et en le rendant au marquis.
--Vous comprenez?
--Je comprends que ce grade vous sera accordé quand nous aurons vu si vous en êtes digne.
--En doutez-vous?
--Certainement.
--Vous m'insultez! s'écria le marquis en portant la main à la garde de son épée.
--Il ne peut y avoir de duel ici, répondit Boishardy avec dédain.
--Pardon! je croyais être entre gentilshommes. Mais répondez nettement. Refusez-vous oui, ou non, de m'obéir?
--Oui, mille fois oui!
--Je me plaindrai; j'en appellerai aux royalistes.
--Faites.
--On vous retirera vos troupes, monsieur de Boishardy.
--Si vous demandez cela, priez Dieu de ne pas réussir, monsieur le marquis de Jausset.
--Et pourquoi?
--Parce que, s'écria Boishardy avec véhémence, je vous ferais fusiller avec votre brevet sur la poitrine.
--Vous oseriez?
--N'en doutez pas.
--Et M. de Boishardy a parfaitement raison, ajouta Cormatin. Jusqu'ici, monsieur le marquis, nous nous sommes passés de l'émigration, et nous saurons nous en passer encore. Je vous engage à retourner à Gand: c'est là qu'est votre place. Mais gardez-vous de pareilles rodomontades devant d'autres chefs. Tous n'auraient pas la patience de mon ami, et, tout gentilhomme que vous êtes, vous pourriez bien être accroché à une branche de chêne.
--Messieurs! messieurs! s'écria le marquis blême de colère, il faut que l'un de vous me rende raison de tant d'insolence!
--Assez! fit Boishardy.
Il appela Fleur-de-Chêne en entr'ouvrant la porte. Le paysan accourut.
--Tu vas prendre dix hommes avec toi et escorter monsieur, continua-t-il en désignant le marquis. Tu le mèneras à La Roche-Bernard, et là monsieur s'embarquera pour aller où bon lui semblera.
Le marquis se leva brusquement et sortit sans dire un mot.
--Tonnerre! s'écria Marcof, on ose nous envoyer de pareils hommes avec des brevets dans leur poche.
--Les émigrés sont fous, dit Chantereau.
--Pis que cela, répondit Boishardy, ils sont ridicules! Mais oublions cette scène et reprenons notre conversation au moment où cet imbécile empanaché est venu nous interrompre. Vous, Cormatin, quelles nouvelles de la Vendée?
--Mauvaises, répondit le chouan en s'avan?ant. Depuis la bataille de Cholet, Charette s'est tenu isolé dans l'?le de Noirmoutier, dont il a fait son quartier général. Il y a quelques jours seulement, il apparut dans la haute Vendée pour y recruter des hommes. Un conseil tenu aux Herbiers l'a confirmé dans son commandement en chef.
--Mais, dit Boishardy, n'a-t-il pas vu La Rochejacquelein? Celui-ci est passé ici se rendant en Vendée cependant; et, depuis, je n'en ai pas eu de nouvelles.
--Si; ils se sont vus à Maulevrier.
--L'entrevue a été mauvaise. Ils ne s'aiment pas.
--Oh! s'écria Marcof; toujours la même chose donc; ici comme parmi les bleus! Quoi! Charette et La Rochejacquelein ne réunissent pas leurs forces? Ils font passer l'intérêt personnel avant le salut de la royauté, les causes particulières avant la cause commune? De stupides rancunes, de sots orgueils l'emportent sur le bien de la patrie?
--La Rochejacquelein a repassé la Loire, continua Cormatin.
--Et, ajouta Chantereau, il marche sur le Mans.
--Où il trouvera Marceau, Kléber et Canuel avec des forces triples des siennes! dit Marcof. Enfin, espérons en Dieu, messieurs.
--Et attendons ici les résultats de cette marche nouvelle, ajouta Boishardy. La Rochejacquelein m'a ordonné de garder à tout prix ce placis, qui renferme d'abondantes munitions et offre une retraite s?re en cas de revers. Vous, Cormatin, et vous Chantereau, regagnez vos campements et tenez-vous, prêts à agir et à vous replier sur moi au premier signal. Adieu, messieurs! fidèles toujours et quand même, c'est notre devise. Que personne ne l'oublie!
Les deux chefs prirent congé et s'éloignèrent. Marcof et Boishardy demeurèrent seuls. Il y eut entre eux un court instant de silence. Puis, Boishardy s'approchant vivement du marin:
--Vous avez donc été à Nantes? dit-il.
--Oui, répondit Marcof.
--Si vous aviez été reconnu?
--Eh! il fallait bien que j'y allasse, aurais-je d? affronter des dangers mille fois plus terribles et plus effrayants.
--Vous vouliez tenter de
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