Le marchand de Venise | Page 2

William Shakespeare
diligence pour Venise, et le reste de l'histoire se passe comme l'a représenté Shakspeare.
On con?oit aisément la raison et la nécessité des divers changements qu'il a fait subir à cette aventure; elle n'était cependant pas tellement impossible à représenter de son temps sur le théatre qu'on ne puisse croire qu'il a été induit à ces changements par le besoin de donner plus de moralité à ses personnages et plus d'intérêt à son action. Aussi la situation du généreux Antonio, la peinture de son caractère si dévoué, courageux et mélancolique à la fois, ne sont-elles pas l'unique source du charme qui règne si puissamment dans tout l'ouvrage. Les lacunes que laisse cette situation sont du moins si heureusement remplies qu'on ne s'aper?oit d'aucun vide, tant l'ame est doucement occupée des sentiments qui en naissent naturellement. Il semble que Shakspeare ait voulu peindre ici, sous leurs différents points de vue, les premiers beaux jours d'un heureux mariage. Le discours de Portia à Bassanio, au moment où le sort vient de décider en sa faveur, et où elle se regarde déjà comme son heureuse épouse, est rempli d'un abandon si pur, d'une soumission conjugale si touchante et si noble à la fois, que son caractère en acquiert un charme inexprimable, et que Bassanio, prenant dès cet instant la situation supérieure qui lui convient, n'a plus à craindre d'être rabaissé par l'esprit et le courage de sa femme, quelque décidé que soit le parti qu'elle va prendre l'instant d'après; on sait maintenant que, le moment de la nécessité passé, tout rentrera dans l'ordre, et que les grandes qualités qu'elle saura soumettre à son devoir de femme ne feront qu'ajouter au bonheur de son mari.
Dans une classe subordonnée, Lorenzo et Jessica nous donnent le spectacle de ce tendre badinage de deux jeunes époux si remplis de leur bonheur qu'ils le répandent sur les choses les plus étrangères à eux-mêmes et jouissent des pensées et des actions les plus indifférentes, comme d'autant de portions d'une existence que le bonheur envahit tout entière. Cet entretien de Lorenzo et de Jessica, ce jardin, ce clair de lune, cette musique qui prépare le retour de Portia, de Bassanio, et l'arrivée d'Antonio, disposent l'ame à toutes les douces impressions que fera na?tre l'image d'une félicité complète, dans la réunion de Portia et de Bassanio au milieu de tous les amis qui vont jouir de leurs soins et de leurs bienfaits. Shakspeare est presque le seul po?te dramatique qui n'ait pas craint de s'arrêter sur le tableau du bonheur; il sentait qu'il avait de quoi le remplir.
L'invention des trois coffres, dont l'original se trouve aussi en plusieurs endroits, existe, à peu près telle que l'a employée Shakspeare, dans une autre aventure des Gesta Romanorum, si ce n'est que la personne soumise à l'épreuve est la fille d'un roi de la Pouille qui, par la sagesse de son choix, est jugée digne d'épouser le fils de l'empereur de Rome. On voit par là que ces Gesta Romanorum ne remontent pas précisément aux temps antiques.
Le caractère du juif Shylock est justement célèbre en Angleterre.
Cette pièce a été représentée avant 1598. C'est ce qu'on sait de plus certain sur sa date. Plusieurs pièces sur le même sujet avaient déjà été mises au théatre; il avait été aussi le fond de plusieurs ballades.
En 1701, M. Grandville, depuis lord Lansdowne, remit au théatre le Marchand de Venise, avec des changements considérables, sous le titre du Juif de Venise. On l'a joué longtemps sous cette nouvelle forme.

LE MARCHAND DE VENISE

PERSONNAGES
LE DUC DE VENISE, } amoureux de LE PRINCE DE MAROC, } Portia. LE PRINCE D'ARAGON, } ANTONIO, marchand de Venise. BASSANIO, son ami. SALANIO, } amis d'Antonio et de GRATIANO,} Bassanio. SALARINO,} LORENZO, amant de Jessica. SHYLOCK, juif. TUBAL, autre juif, ami de Shylock. LANCELOT GOBBO, jeune lourdaud, domestique de Shylock. LE VIEUX GOBBO, père de Lancelot. LéONARDO, domestique de Bassanio. BALTHASAR, domestiques de Portia. STEPHANO, " " " UN VALET. PORTIA, riche héritière. NéRISSA, suivante de Portia. JESSICA, fille de Shylock.

Sénateurs de Venise, officiers de la cour de justice, un ge?lier, valets et autres personne de suite.
La scène est tant?t à Venise, tant?t à Belmont, chateau de Portia.

ACTE PREMIER
SCèNE I
Dans une rue de Venise.
Entrent ANTONIO, SALARINO et SALANIO.
Antonio.--De bonne foi, je ne sais pourquoi je suis triste. J'en suis fatigué: vous dites que vous en êtes fatigués aussi; mais comment j'ai pris ce chagrin, où je l'ai trouvé, rencontré, de quoi il est fait, d'où il est sorti, je suis encore à l'apprendre.--La tristesse me rend si stupide que j'ai peine à me reconna?tre moi-même.
SALANIO.--Votre ame est agitée sur l'Océan; là où, sous leurs voiles majestueuses, vos larges vaisseaux, seigneurs et riches bourgeois des flots, dominent sur le peuple des petits navires marchands qui les saluent, inclinant, lorsqu'ils passent près d'eux, le tissu de leurs ailes.
SALARINO.--Croyez-moi,
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