vous vous aimiez.... 
--Comme on n'a peut-être pas aimé encore. 
--Tous les amoureux disent la même chose. 
--Oui. Mais cela n'a peut-être jamais été plus vrai que pour nous deux. 
--Plusieurs semaines se passèrent ainsi, reprit Jacques, et un soir, quand 
Laurence se fut retirée, madame de Frémilly, qui m'avait fait un léger 
signe de tête pour m'indiquer de rester, me dit: 
--Vous aimez ma petite-fille, monsieur de Brécourt? 
--De toute mon âme, madame, répondis-je. 
--Vous ne lui êtes pas indifférent. 
--Oh! madame! 
J'aurais voulu, pour cette parole, qui en disait pour moi plus qu'elle n'en 
avait l'air, qui m'indiquait que j'étais parvenu à conquérir la 
sympathie--sinon l'amour de Laurence, je n'osais pas espérer, encore un 
pareil bonheur--j'aurais voulu, dis-je, pour cette parole, qui mettait en 
moi la belle fleur de l'espérance, j'aurais voulu saisir les mains de la 
douairière, les couvrir de baisers et de caresses. Je n'osai pas. J'étais si 
ému, si transporté, que je n'avais trouvé d'autre parole que cette 
exclamation: «Oh! madame!» qui n'était pas, comme tu le vois, bien 
compromettante. 
Mareuil se mit à sourire. 
--Comme vous êtes drôles, vous, les amoureux! Vous pensez des 
choses!
Et l'air un peu supérieur, comme pris de pitié pour l'enthousiasme de 
son ami, qu'il considérait sans doute comme une faiblesse, il lança vers 
le ciel plusieurs bouffées de fumée. 
--Madame de Frémilly, reprit Jacques de Brécourt, trouva sans doute 
l'expression de ma physionomie plus expressive que toutes les paroles 
que j'aurais pu dire pour tâcher de dépeindre mon bonheur. Elle en 
parut satisfaite, car cela lui démontrait que l'amour que j'avais pour 
Laurence était profond, sincère. 
Elle poursuivit: 
--Non, vous ne lui êtes pas indifférent. 
Mais elle s'empressa d'ajouter, comme pour corriger sa phrase, qu'elle 
trouvait encore sans doute trop expressive: 
--Elle ne me l'a pas dit.... Mais j'ai cru m'en apercevoir, et c'est d'après 
mes observations que je parle. 
--Oh! madame! m'écriai-je, puissiez-vous ne pas vous être trompée! 
Elle sourit de mon exaltation. 
Et elle ajouta finement: 
--Franchement, je ne le crois pas. 
C'était un aveu. 
J'étais aimé! Laurence m'aimait! Et elle l'avait dit! Juge de mon 
bonheur, de mes transports. J'étais fou! 
--Je m'en aperçois, fit Mareuil, tu l'es encore. 
--Hélas! c'est de douleur maintenant, fit le pauvre Jacques. 
Et des larmes montèrent à ses yeux.
Il les refoula pour dire: 
--Mais je continue.... Nous arriverons assez vite à la catastrophe, à la 
catastrophe inattendue, inouïe, qui a changé en deuil toutes mes joies, 
qui brise mon bonheur, mon avenir, ma vie!... Mais ce soir-là, je ne 
prévoyais pas un tel dénouement.. J'étais tout à mes espérances, à mes 
transports insensés.... J'attendais avec anxiété que madame de Frémilly 
s'expliquât ... me dit où elle en voulait venir, ce qu'elle avait résolu. 
Elle ne me fit pas attendre longtemps. 
--Vous savez, me dit-elle, combien j'aime ma petite-fille? 
--Qui ne l'aimerait pas? m'écriai-je. 
--Depuis qu'elle vit, poursuivit-elle, je n'ai pas eu d'autre pensée que 
son bonheur. Il ne m'était resté sur terre que cette affection, toutes les 
autres m'ayant été enlevées successivement par la mort impitoyable.... 
Je n'ai plus vécu que pour Laurence, qui représentait tout pour moi 
ici-bas. 
--Je le sais, madame, dis-je, et je vous ai enviée bien des fois de 
pouvoir ainsi lui consacrer toutes les heures de votre vie. 
--C'est vous dire, fit-elle, avec quelle appréhension je remettrai à 
d'autres mains le soin d'une félicité si précieuse. 
--Oh! madame, m'écriai-je, personne ne la cultivera comme moi, cette 
félicité, que je serais si heureux de voir s'épanouir et grandir au soleil 
de mon amour! 
--Je vous crois, me dit-elle.... Je crois que vous êtes sincère ... que vous 
aimez vraiment Laurence, et comme elle doit être aimée. Mais les 
hommes sont faibles.... L'amour peut endormir pour un temps leurs 
passions, qui reprennent ensuite, plus impérieuses et plus violentes. 
--Je n'en ai plus d'autres au coeur, affirmai-je, que l'amour de Laurence. 
--Pour le moment.
--Pour toujours! 
--J'ai pris sur vous des renseignements.... 
Comme j'avais eu un geste involontaire, elle ajouta aussitôt: 
--Non pas sur votre fortune.... La question d'argent ne me préoccupe 
guère.... Vous seriez pauvre, que je vous donnerais Laurence, si j'étais 
persuadée qu'elle trouverait près de vous le bonheur.... Mais sur votre 
passé.... 
--Oh! madame, fis-je, j'ai fait bien des folies.... 
--De grandes folies, dit-elle. 
--Je ne connaissais pas Laurence.... J'y ai renoncé. 
--Je le sais, me déclara-t-elle.... Depuis quelque temps votre conduite 
est assez exemplaire.... Sans cela, je ne vous aurais pas ouvert la porte 
de ma maison. 
--Sans savoir, dis-je, si je plairais à mademoiselle de Frémilly, si je 
serais agréé par elle, j'avais rompu avec toutes mes connaissances, 
toutes mes amitiés, trouvant dans l'amour qui me possédait déjà assez 
de force pour résister à toutes les tentations, assez de joies pour 
remplacer toutes les autres.... Mais, depuis que j'ai été admis auprès 
d'elle, depuis    
    
		
	
	
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