caste à part, un peuple à demi sauvage, ennemi-né de toute
innovation, et détestant par instinct et par intérêt tout régime autre que 
la coutume, laquelle lui accordait tacitement un droit d'usage illimité 
sur tous les produits de la forêt, sauf le gibier. 
De temps immémorial, sabotiers, tonneliers, charbonniers et vanniers 
avaient pu, non seulement ignorer jusqu'au nom d'_impôt_, mais encore 
prendre le bois nécessaire à leur industrie sans indemnité aucune. Dans 
leur croyance, la forêt était leur légitime patrimoine: ils y étaient nés; 
ils avaient le droit imprescriptible d'y vivre et d'y mourir. Quiconque 
leur contestait ce droit devenait pour eux un oppresseur. 
Or ils n'étaient point gens à se laisser opprimer sans résistance. 
Louis XIV était mort. Philippe d'Orléans, au mépris du testament du 
monarque défunt, tenait la régence. Bien que ce prince, pour qui 
l'histoire a eu de sévères condamnations, mît volontairement en oubli la 
grande politique de son maître, cette politique subsistait par sa force 
propre, partout où des mains malhabiles ou perfides ne prenaient point 
à tâche de la miner sourdement. 
En Bretagne, la longue et vaillante résistance des États avait pris fin. 
Un intendant de l'impôt avait été installé à Rennes, et le pacte d'Union, 
violemment amendé, ne gardait plus ses fières stipulations en faveur 
des libertés de la province. Le parti breton était donc vaincu; la 
Bretagne se faisait France en définitive: il n'y avait plus de frontière. 
Mais autre chose était de consentir une mesure en assemblée 
parlementaire, autre chose de faire passer cette mesure dans les moeurs 
d'un peuple dont l'entêtement est devenu proverbial. M. de Pontchartain, 
le nouvel intendant royal de l'impôt, avait l'investiture légale de ses 
fonctions; il lui restait à exécuter son mandat, ce qui n'était point chose 
facile. 
Partout on accusa les États de forfaiture: on résistait partout. 
Lors de la conspiration de Cellamare, ce fut en Bretagne que la 
duchesse du Maine réunit ses plus hardis soldats. Les _Chevaliers de la
Mouche à miel_ qui se nommaient aussi les _Frères bretons, formaient 
une véritable armée dont les chefs, MM. de Pontcallec, de Talhoët, de 
Rohan-Polduc et autres eurent la tête tranchée sous le Bouffay de 
Nantes, en 1718. 
Ce fut un rude coup. La conspiration rentra sous terre. 
Mais la ligue des Frères bretons, antérieure à la conspiration, et qui, en 
réalité, n'avait plus d'objet politique, continua d'exister et d'agir quand 
la conspiration fut morte. 
C'est le propre des assemblées secrètes de vivre sous terre. Les Frères 
bretons refusèrent d'abord l'impôt les armes à la main, puis ils cédèrent 
à leur tour, mais, tout en cédant, ils vécurent. 
Vingt ans après l'époque où se passèrent les événements que nous 
allons raconter, et qui forment le prologue de notre récit, nous 
retrouverons leurs traces. Le mystère est dans la nature de l'homme. 
Les sociétés secrètes meurent cent fois. 
En 1719, presque tous les gentilshommes s'étaient retirés de 
l'association, mais elle subsistait parmi le bas peuple des villes et des 
campagnes. 
Ce qui restait de _frères_ nobles était l'objet d'un véritable culte. 
Les châteaux où se retranchaient ces partisans inflexibles de 
l'indépendance devenaient des centres autour desquels se groupaient les 
mécontents. Ceux-ci étaient peut-être impuissants déjà pour agir sur 
une grande échelle, mais leur opposition (qu'on nous passe 
l'anachronisme) se faisait en toute sécurité. 
Il eût fallu, pour les réduire, mettre à feu et à sang le pays où ils avaient 
des attaches innombrables. 
D'après ce que nous avons dit de la forêt de Rennes, on doit penser 
qu'elle était un des plus actifs foyers de la résistance. Sa population 
entièrement composée de gens pauvres, ignorants et endurcis aux plus
rudes travaux, était dans des conditions singulièrement favorables à 
cette résistance, dont le fond est une négation pure et simple, soutenue 
par la force d'inertie. Assez nombreux et assez unis pour combattre si 
nulle autre ressource ne pouvait être employée, les gens de la forêt 
attendaient, confiants dans les retraites inaccessibles qu'offrait, à 
chaque pas, le pays, confiants surtout dans la connaissance parfaite 
qu'ils avaient de leur forêt, cet immense et sombre labyrinthe dont les 
taillis reliaient la campagne de Rennes aux faubourgs de Fougères et de 
Vitré. 
Dans ces trois villes, ils avaient des adhérents. Le premier coup de 
mousquet tiré sous le couvert devait armer la plèbe déguenillée des 
basses rues de Rennes, les historiques bourgeois de Vitré, qui portaient 
encore brassards, hauberts et salades, comme des hommes d'armes, du 
XVe siècle, et les habiles braconniers de Fougères. Avec tout cela, il 
était raisonnable d'espérer que les sergents de M. de Pontchartrain 
pourraient ne point avoir beau jeu. 
Il y avait au monde un homme qu'ils respectaient tant que, si cet 
homme leur eût dit: payez l'impôt au roi de France, ils auraient 
peut-être obéi. 
Mais cet homme n'avait garde. 
Il était justement, cet homme, l'un des plus obstinés    
    
		
	
	
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