Le grillon du foyer | Page 2

Charles Dickens
faucheur s'agita en
frémissant et ses jambes flageolaient comme si un fil de fer les lui eût
tiraillées.
Ce ne fut que lorsqu'un mouvement violent et un grand bruit de poids et
de cordages se fut tout à fait calmé, que le faucheur effrayé revint à
lui-même. Il ne s'était pas épouvanté sans raison car tout ce

remue-ménage, tous ces os de squelettes qui s'agitaient n'étaient pas
rassurants, et je m'étonne que les Hollandais, gens d'humeur
flegmatique, soient les auteurs d'une pareille invention.
Ce fut en ce moment, remarquez le bien que la Bouilloire commença sa
soirée. Ce fut en ce moment que la Bouilloire, s'adoucissant jusqu'à
devenir musicale, laissa échapper de son gosier des gazouillements
qu'elle semblait vouloir retenir, de courtes notes interrompues, comme
si elle n'avait pas encore tout à fait mis de côté sa mauvaise humeur. Ce
fut en ce moment qu'après quelques vains efforts pour réprimer sa gaîté,
elle se débarrassa enfin de son air morose, perdit toute réserve et se mit
à chanter une chanson joyeuse, telle que le rossignol le plus tendre n'en
a jamais eu l'idée.
Elle était si simple, cette chanson, que vous l'auriez comprise comme
un livre, mieux peut-être que quelques livres que je pourrais nommer.
Avec sa chaude haleine qui s'élevait en gracieux et légers nuages qui
montaient dans la cheminée comme vers un ciel domestique, la
Bouilloire accentuait son chant joyeux avec énergie, et le couvercle, le
couvercle naguère rebelle,? telle est l'influence du bon exemple,?
dansait une espèce de gigue, et tintait comme une jeune cymbale sourde
et muette qui n'a jamais connu de soeur.
Ce chant de la Bouilloire était une invitation et un souhait de bienvenue
pour quelqu'un qui n'était pas dans la maison, pour quelqu'un qui allait
arriver, qui approchait de cette petite maison et de ce feu pétillant; cela
n'était pas douteux. Mistress Peerybingle le savait bien, elle qui était
assise pensive devant le foyer. «La nuit est sombre, chantait la
Bouilloire, et les feuilles mortes jonchent le chemin; tout est brouillard
et ténèbres; en bas, tout est boue et flaques d'eau; on ne voit dans l'air
qu'un point moins triste; c'est cette teinte rougeâtre à l'horizon, où le
soleil et le vent semblent lutter pour se reprocher le vilain temps qu'il
fait. Tout est obscur dans la campagne; le poteau indicateur de la route
se perd dans l'ombre; la glace n'est pas fondue, mais l'eau est encore
emprisonnée; et vous ne sauriez dire s'il gèle ou s'il ne gèle pas. Ah! le
voilà qui vient, le voilà, le voici!»
En ce moment, s'il vous plaît, le Grillon poussa son cri; coui, coui, coui,
fit-il en chorus, et sa voix était si forte en proportion de sa taille? on ne
pouvait pas en juger, car on ne le voyait pas,? qu'il semblait prêt à
crever comme un canon trop chargé; et vous auriez dit qu'il allait

éclater en cinquante morceaux, tant il faisait d'efforts pour grésillonner.
Le solo de la Bouilloire était fini; le Grillon avait pris la partie de
premier violon, et il ne la quittait pas. Bon Dieu! comme il criait! Sa
voix aiguë et perçante résonnait dans toute la maison; il semblait qu'elle
allait percer les ténèbres... comme une étoile perce les nuages. Il y avait
de petites trilles et un tremolo indescriptible dans le cri le plus aigu du
Grillon, lorsque, dans l'excès de son enthousiasme il faisait des sauts et
des bonds. Cependant ils s'accordaient fort bien, le Grillon et la
Bouilloire. Le refrain était toujours le même, mais, dans leur émulation,
ils le chantaient de plus en plus crescendo.
La jolie petite femme qui les écoutait,? car elle était jolie et jeune
quoique un peu forte,? alluma une chandelle, se tourna vers le faucheur
de la pendule, qui avait fait une bonne provision de minutes, puis elle
alla regarder à la fenêtre, par laquelle elle ne vit rien à cause de
l'obscurité, mais elle vit son charmant visage se réfléchir dans les vitres,
et mon opinion? qui serait aussi la vôtre? est qu'elle aurait pu regarder
longtemps sans voir rien de moitié aussi agréable. Lorsqu'elle revint
s'asseoir sur son siège, le Grillon et la Bouilloire continuaient leur duo
avec le même entrain.
C'était entr'eux comme une course au clocher. _Cri! cri! cri!_ Le
Grillon l'emporte! _Hum! hum! hum!_ La Bouilloire prend de l'avance.
_Cri! cri! cri!_ Le Grillon gagne du terrain au retour. Mais la Bouilloire
reprend encore: _Hum! hum! Hum! _Enfin ils s'essoufflaient, ils
s'épanouissaient tant l'un et l'autre, le _Cri! cri!_ se confondait
tellement avec le _Hum! hum!_ qu'il aurait fallu une oreille plus
exercée que la vôtre ou la mienne pour savoir qui l'emporterait. Mais ce
qui ne fut pas douteux, c'est que la bouilloire et le Grillon, tout deux au
même instant, et par un accord
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