la leur; si l'un de leurs 
compagnons meurt victime d'un Indien ou d'une bête féroce, ils se 
contentent de dire: il a eu une mala suerte (mauvaise chance.) 
Véritables sauvages, vivant sans affection et sans foi aucune, ils sont un 
type particulier dans l'humanité. 
Ces éclaireurs étaient frères et se nommaient Quinto, Julian, Simon et 
Sanchez. Leur habitation, deux fois ruinée par les Indiens Aucas, avait 
enfin été brûlée de fond en comble dans une dernière invasion; leur 
père et leur mère avaient succombé dans des tortures atroces; deux de 
leurs soeurs avaient été violées par les chefs et tuées; la plus jeunes 
nommée Maria, enfant de sept ans à peine, avait été emmenée en
esclavage, et depuis ils n'en avaient plus eu de nouvelles, ignorant si 
elle était vivante ou morte. 
Les quatre frères dès lors s'étaient faits bomberos en haine des Indiens, 
et par vengeance, et ils n'avaient qu'une tête et qu'un coeur. Depuis neuf 
ans, leurs prodiges de courage, d'intelligence, d'astuce seraient trop 
longs à raconter. Nous les retrouverons, d'ailleurs, mêlés à ce récit. 
Dès que Sanchez, qui était l'aîné, eut terminé son repas, Quinto éteignit 
le feu, Simon monta à cheval pour faire sa ronde aux environs; puis les 
deux frères curieux des nouvelles que Sanchez apportait, s'approchèrent 
de lui. 
--Quoi de nouveau, frère? demanda Julian. 
--Avant toute chose, répondit l'aîné, qu'avez-vous fait, vous autres, 
depuis huit jours? 
--Ce ne sera pas long, fit Quinto: rien! 
--Bah! 
--Ma foi! oui, rien. Les Aucas et les Pehuenches deviennent d'une 
timidité ridicule; si cela continue, nous leur enverrons des robes comme 
à des femmes. 
--Oh! soyez tranquilles, dit Sanchez, ils n'en sont pas encore là. 
--Qu'en sais-tu? reprit Quinto. 
--Après? fit Sanchez sans répondre. 
--Voilà tour, nous n'avons rien vu, rien entendu de suspect. 
--Vous en êtes sûrs? 
--Pardieu! nous prends-tu pour des imbéciles? 
--Non, mais vous vous trompez.
--Hein? 
--Cherchez bien dans votre mémoire. 
--Personne n'a passé, te dis-je, reprit Julian avec assurance. 
--Personne? 
--A moins que tu ne comptes comme étant quelqu'un la vieille femme 
Pehuenche qui, ce soir, a traversé la plaine sur un mauvais cheval et 
nous a demandé le chemin de Carmen. 
--Cette vieille femme, dit Sanchez en souriant, sait ce chemin-là aussi 
bien que vous et moi. Canario! votre candeur m'amuse. 
--Notre candeur! s'écria Quinto en fronçant le sourcil; Nous sommes 
donc des niais, alors? 
--Dam! cela m'en a tout l'air. 
--Explique-toi. 
--Vous allez comprendre. 
--Cela nous fera plaisir. 
--Peut-être. La vieille Indienne Pehuenche, qui, ce soir, a traversé la 
plaine sur un mauvais cheval et vous a demandé le chemin de Carmen, 
dit Sanchez en répétant par raillerie les mots de Julian, savez-vous ce 
que c'est? 
--Malepeste! une atroce guenon dont la figure effroyable épouvanterait 
le diable. 
--Ah! vous croyez? Eh bien! vous n'y êtes pas le moins du monde. 
--Parle, ne joue pas avec nous comme un cougouar avec une souris. 
--Mes enfants, cette guenon Pehuenche c'était...
--C'était. 
--Neham-Outah. 
Neham-Outah (l'ouragan) était le principal Ulmen des Aucas. Sanchez 
aurait pu parler longtemps sans être interrompu par ses frères, tant cette 
nouvelle les avait atterrés. 
--Malédiction, s'écria enfin Julian. 
--Mais comment le sais tu? demanda Quinto. 
--Vous imaginez-vous que je me sois amusé à dormir pendant huit 
jours, mes frères? Les Indiens, à qui vous voulez envoyer des robes, se 
préparent dans le plus grand silence à vous donner un furieux coup de 
cornes. Il faut se méfier de l'eau qui dore et du calme qui dissimule la 
tempête. Toutes les nations de la haute et de la basse Patagonie, et 
même de l'Araucanie, se sont liguées pour tenter une invasion, 
massacrer tous les blancs et détruire le Carmen. Deux hommes ont tout 
fait, deux hommes que vous et moi connaissons de longue date. 
Neham-Outah et Pincheira, le chef des Araucanes. Ce soir, grande 
réunion des députés des nations Aucas, Pehuenches, Tehuelches, 
Araucanes, Puelches, où l'on doit définitivement convenir du jour et de 
l'heure de l'attaque, distribuer les postes aux différentes tribus et arrêter 
les dernières mesures pour le succès de l'expédition. 
--Caraï! exclama Julian; pas un instant à perdre! Que l'un de nous se 
rende à franc-étrier au Carmen pour instruire le gouvernement du 
danger qui menace la colonie. 
--Non, pas encore! Ne soyons pas si pressés et tâchons de connaître les 
intentions des Indiens. Le quipus a été envoyé partout et les chefs qui 
se trouveront au rendez-vous sont Neham-Outah, Lucaney, Pincheira, 
Le Mulato, Chaukata, Gaykilof, Vera, Matipan, Killapan et autres, en 
tout vingt. Vous voyez, je suis bien informé. 
--Où se réuniront-ils?
--A l'arbre de Gualichu. 
--Diable! ce n'est point chose aisée de les surprendre en pareil lieu. 
--Morbleu! c'est impossible, dit Quinto. 
--Où manque la force, mettons la ruse. Voici Simon qui revient. Eh 
bien! rien de nouveau? 
--Tout est tranquille, dit-il en mettant pied à terre. 
--Tant mieux! nous pouvons    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
 
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.
	    
	    
