confiance en moi.
Il me cachait son coeur.
Ce fut neuf ou dix mois apr��s son mariage, le 22 juillet 1866, que M. Louaisot me fournit l'adresse de Lucien �� la maison de sant�� du Dr Chapart.
III
Grand paysage--L'ame de Lucien
Quand le gar?on �� mine d'infirmier m'ouvrit la chambre du n��9, il pouvait ��tre dix heures du matin. Le d��jeuner fumait sur la table �� laquelle Lucien tournait le dos, occup�� qu'il ��tait �� regarder par la fen��tre.
Je ne connais pas beaucoup de paysages comparables �� celui qu'on embrasse, par une belle matin��e d'��t��, des vilaines petites crois��es, ouvertes sur les derri��res de la maison de sant�� du Dr Chapart. (Syst��me Chapart, sirop Chapart, liqueur Chapart pour usage externe. On donne la brochure.)
Ce paysage fut la premi��re chose que je vis en entrant. Il me frappa. Je d��couvrais la ville immense, envelopp��e d'une brume diaphane dans un lointain qui poudroyait de lumi��re. Les d?mes et les clochers, les pavillons et les tours semblaient nager au-dessus de ce brouillard aux ondes nacr��es de gris, de rose et d'or tandis qu'�� perte de vue, les campagnes de l'ouest et du sud relevaient brusquement leurs contours, d��tach��s sur l'azur laiteux de l'horizon.
Je n'eus qu'un coup d'oeil pour ce paysage, car Lucien Thibaut, appuy�� sur la barre de la fen��tre, se redressa au bruit de mon entr��e et se retourna lentement vers moi.
Tout le reste disparut �� mes yeux. Je demeurai tout entier en proie au sentiment d'angoisse qui s'empara de moi �� sa vue.
Angoisse? Pourquoi? Ce mot peint-il ma pens��e? Dit-il trop ou ne dit-il pas assez?
Je retrouvais Lucien rajeuni, apr��s ces dix ann��es qui faisaient juste le tiers de notre age �� tous les deux.
L'homme de trente ans m'apparut sous un aspect plus juv��nile que l'adolescent achevant sa vingti��me ann��e.
Telle fut mon impression bien marqu��e. Cela me serra le coeur.
Ses traits avaient subi une sorte d'effacement; son teint ��tait plus clair et presque transparent. Tout en lui ��tait affaibli et comme amoindri. Il y avait une insouciance d'enfant dans la souriante placidit�� de sa physionomie.
Au coll��ge, Lucien ��tait incomparablement le plus beau d'entre nous, mais comme il faut, de toute n��cessit��, trouver quelque tache �� toute oeuvre de Dieu ou des hommes, nous lui reprochions volontiers la perfection m��me de sa beaut��.
C'��tait trop. Cela ne se devait pas. Le droit d'��tre joli �� ce point-l�� n'appartient qu'�� l'autre sexe.
Lucien avait la bravoure d'un lionceau. Il ��tait magnifique quand il se ruait sur le tas des railleurs. Il chatiait surtout s��v��rement ceux qui affectaient de le traiter en demoiselle. J'ai port�� de ses marques.
Ce genre de moquerie avait attaqu�� son caract��re. De l'enfant le plus doux qui f?t au monde, il ��tait devenu ombrageux, querelleur, presque cruel.
Non seulement il n'avait aucune des coquetteries de son age, mais sa trop jolie figure lui faisait honte positivement. Il essayait de s'enlaidir.
Plus tard, et pour protester encore contre le hasard de sa trop bonne mine, il s'��tait fait, �� l'��cole de droit, une t��te de puritain farouche, ce qui ne nuisait en rien au naturel le plus aimable et le plus gai que j'aie rencontr�� en ma vie.
Mais il ��tait content positivement quand on lui disait qu'il avait la touche d'un mauvais gars.
Aujourd'hui, toute pr��occupation de ce genre avait ��videmment pris fin. Il se laissait ��tre joli.
Je ne dirai pas qu'il ��tait redevenu lui-m��me, car l'expression de son regard s'��tait d��rob��e et comme ��teinte, mais �� part ce rayon g��n��reux qui brillait autrefois si gaiement dans sa prunelle, tout en lui avait fait retour vers l'adolescence.
Rien de tout cela n'��tait pr��cis��ment de nature �� vous serrer le coeur. Et pourtant, quand il me regarda, j'��prouvai d'une fa?on tr��s nette le contrecoup d'une douleur sourde, mais terrible.
J'eus froid.
Et j'eus peur.
Il me tendit la main comme si nous nous fussions s��par��s de la veille. Son regard ne laissait percer ni ��motion ni surprise.
--Te voil��, me dit-il, tu viens tard.
Puis, d��signant du doigt le panorama de la grande ville, noy�� dans les lumi��res de son brouillard, il ajouta:
--Depuis que je demeure ici, Paris a encore grandi. Tiens, vois, sur la gauche, l��-bas, au bout du troisi��me jardin, voil�� deux maisons neuves qui percent les arbres. La semaine derni��re on ne les apercevait pas, la semaine prochaine nous verrons un drapeau sur leur toiture. Paris pousse vite, mais Paris a beau grandir, grandir, je l'embrasse d'un coup d'oeil. C'est �� la lettre, regarde plut?t! Il n'y a pas un autre endroit comme celui-ci: rien ne m'��chappe. Je suis venu ici pour la chercher. Penses-tu que je la retrouverai?
Ses yeux se d��tourn��rent de moi et il reprit un peu plus bas:
--Comment vas-tu ce matin?
Ayant dit cela, il secoua ma main avec cette cordialit�� paisible des gens qui se rencontrent tous les jours. Je n'avais pas encore ouvert la bouche.
Malgr�� moi, j'interrogeais son visage et

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