êtres si singuliers aurait inspirée au grand Européen, si la curiosité active de 
celui-ci ne se fût portée vers d'autres objets. Un mouvement général qui se fit parmi les 
domestiques, et le son de quelques voix douces, annoncèrent l'arrivée de celles qu'on 
attendait pour mettre la cavalcade en marche. L'admirateur du beau cheval de guerre fit 
aussitôt quelques pas en arrière pour aller rejoindre une petite jument maigre à tous crins, 
qui paissait un reste d'herbe fanée dans le camp. Appuyant un coude sur une couverture 
qui tenait lieu de selle, il s'arrêta pour voir le départ, tandis qu'un poulain achevait 
tranquillement son repas du matin de l'autre côté de la mère. 
Un jeune homme, avec l'uniforme des troupes royales, conduisit vers leurs coursiers deux 
dames qui, à en juger par leur costume, se disposaient à braver les fatigues d'un voyage à 
travers les bois. L'une d'elles, celle qui paraissait la plus jeune, quoique toutes deux 
fussent encore dans leur jeunesse, laissa entrevoir son beau teint, ses cheveux blonds, ses 
yeux d'un bleu foncé, tandis qu'elle permettait à l'air du matin d'écarter le voile vert 
attaché à son chapeau de castor. Les teintes dont on voyait encore au-dessus des pins 
l'horizon chargé du côté de l'orient, n'étaient ni plus brillantes ni plus délicates que les 
couleurs de ses joues, et le beau jour qui commençait n'était pas plus attrayant que le 
sourire animé qu'elle accorda au jeune officier tandis qu'il l'aidait à se mettre en selle. La 
seconde, qui semblait obtenir une part égale des attentions du galant militaire, cachait ses 
charmes aux regards des soldats avec un soin qui paraissait annoncer l'expérience de 
quatre à cinq années de plus. On pouvait pourtant voir que toute sa personne, dont la 
grâce était relevée par son habit de voyage, avait plus d'embonpoint et de maturité que 
celle de sa compagne. 
Dès qu'elles furent en selle, le jeune officier sauta lestement sur son beau cheval de 
bataille, et tous trois saluèrent Webb, qui, par politesse, resta à la porte de sa cabane 
jusqu'à ce qu'ils fussent partis. Détournant alors la tête de leurs chevaux, ils prirent 
l'amble, suivis de leurs domestiques, et se dirigèrent vers la sortie septentrionale du camp. 
Pendant qu'elles parcouraient cette courte distance, on ne les entendit pas prononcer une 
parole; seulement la plus jeune des deux dames poussa une légère exclamation lorsque le 
coureur indien passa inopinément près d'elle pour se mettre en avant de la cavalcade sur 
la route militaire. Ce mouvement subit de l'Indien n'arracha pas un cri d'effroi à la 
seconde, mais dans sa surprise elle laissa aussi son voile se soulever, et ses traits 
indiquaient en même temps la pitié, l'admiration et l'horreur, tandis que ses yeux noirs 
suivaient tous les mouvements du sauvage. Les cheveux de cette dame étaient noirs et 
brillants comme le plumage du corbeau; son teint n'était pas brun, mais coloré; cependant 
il n'y avait rien de vulgaire ni d'outré dans cette physionomie parfaitement régulière et 
pleine de dignité. Elle sourit comme de pitié du moment d'oubli auquel elle s'était laissé 
entraîner, et en souriant, elle montra des dents d'une blancheur éclatante. Rabattant alors 
son voile, elle baissa la tête, et continua à marcher en silence, comme si ses pensées 
eussent été occupées de toute autre chose que de la scène qui l'entourait. 
Chapitre II 
Seule, seule! Quoi! seule?
Shakespeare. 
Tandis qu'une des aimables dames dont nous venons d'esquisser le portrait, s'égarait ainsi 
dans ses pensées, l'autre se remit promptement de la légère alarme qui avait excité son 
exclamation; et souriant elle-même de sa faiblesse, elle dit sur le ton du badinage, au 
jeune officier qui était à son côté: 
-- Voit-on souvent dans les bois des apparitions de semblables spectres, Heyward? ou ce 
spectacle est-il un divertissement spécial qu'on a voulu nous procurer? En ce dernier cas, 
la reconnaissance doit nous fermer la bouche; mais, dans le premier, Cora et moi nous 
aurons grand besoin de recourir au courage héréditaire que nous nous vantons de 
posséder, même avant que nous rencontrions le redoutable Montcalm. 
-- Cet Indien est un coureur de notre armée, répondit le jeune officier auquel elle s'était 
adressée, et il peut passer pour un héros à la manière de son pays. Il s'est offert pour nous 
conduire au lac par un sentier peu connu, mais plus court que le chemin que nous serions 
obligés de prendre en suivant la marche lente d'une colonne de troupes, et par conséquent 
beaucoup plus agréable. 
-- Cet homme ne me plaît pas, répondit la jeune dame en tressaillant avec un air de terreur 
affectée qui en cachait une véritable. Sans doute vous le connaissez bien, Duncan, sans 
quoi vous ne vous seriez pas si entièrement confié à lui? 
-- Dites plutôt, Alice, s'écria Heyward avec feu, que je ne vous aurais    
    
		
	
	
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