et je revenais à 
mes nuances. 
Saint Bonaventure, avec un grand sens littéraire, écrit qu'il faut lire en 
aimant. Ceux qui feuillettent ce bréviaire d'égotisme y trouveront moins 
à railler la sensibilité de l'auteur s'ils veulent bien réfléchir sur 
eux-mêmes. Car chacun de nous, quel qu'il soit, se fait sa légende. 
Nous servons notre âme comme notre idole; les idées assimilées, les 
hommes pénétrés, toutes nos expériences nous servent à l'embellir et à 
nous tromper. C'est en écoutant les légendes des autres que nous 
commençons à limiter notre âme; nous soupçonnons qu'elle n'occupe 
pas la place que nous croyons dans l'univers. 
Dans ses pires surexcitations, celui que je peins gardait quelque lueur 
de ne s'émouvoir que d'une fiction. Hors cette fiction, trop souvent sans 
douceur, rien ne lui était. Ainsi le voulut une sensibilité très jeune unie 
à une intelligence assez mûre. 
Désireux de respecter cette tenue en partie double de son imagination, 
j'ai rédigé des concordances, où je marque la clairvoyance qu'il 
conservait sur soi-même dans ses troubles les plus indociles. J'y ai joint 
les besognes que, pendant ses crises sentimentales, il menait dans le 
monde extérieur. Je souhaite avoir complété ainsi l'atmosphère où ce 
Moi se développait sans s'apaiser et qu'on ne trouve pas de lacunes 
entre ces diverses heures vraiment siennes, heures du soir le plus 
souvent, où, après des semaines de vision banale, soudain réveillé à la 
vie personnelle par quelque froissement, il ramassait la chaîne de ses 
émotions et disait à son passé, renié parfois aux instants gais et de 
bonne santé: «Petit garçon, si timide, tu n'avais pas tort.»
* * * * * 
 
LIVRE I 
AVEC SES LIVRES 
A Stanislas de Guaita. 
* * * * * 
CHAPITRE PREMIER 
* * * * * 
CONCORDANCE 
_Il naquit dans l'Est de la France et dans un milieu où, il n'y avait rien 
de méridional. Quand il eut dix ans, on le mit au collège où, dans une 
grande misère physique (sommeils écourtés, froids et humidité des 
récréations, nourriture grossière), il dut vivre parmi les enfants de son 
âge, fâcheux milieu, car à dix ans ce sont précisément les futurs goujats 
qui dominent par leur hâblerie et leur vigueur, mais celui qui sera plus 
tard un galant homme ou un esprit fin, à dix ans est encore dans les 
brouillards._ 
_Il fut initié au rudiment par M.F., le professeur le plus fort qu'on pût 
voir; d'une seule main ce pédagogue arrachait l'oreille d'un élève qui de 
plus en devenait ridicule._ 
_Comme son tour d'esprit portait notre sujet à généraliser, il commença 
dès lors à ne penser des hommes rien de bon._ 
_Étant mal nourri, par manque de globules sanguins il devint timide, et 
son agitation faite d'orgueil et de malaise déplut._ 
_Bientôt, pour relever ses humiliations quotidiennes, il eut des lectures 
qui lui donnèrent sur les choses des certitudes hâtives et pleines
d'âcreté._ 
_Le roi Rhamsès II est blâmé par les conservateurs du Louvre, ayant 
usurpé un sphinx sur ses prédécesseurs. Le jeune homme de qui je parle 
inscrivit de même son nom sur des troupes de sphinx qui légitimement 
appartenaient à des littérateurs français. Il s'enorgueillit d'étranges 
douleurs qu'il n'avait pas inventées._ 
_On serait tenté de croire qu'il se donna, comme tous les jeunes esprits 
curieux, aux poésies de Heine, au_ Thomas Graindorge _de Taine, à 
la_ Tentation de saint Antoine, aux Fleurs du Mal; _il lut cela en effet 
et bien d'autres littératures, des pires et des meilleures, mais surtout 
dans_ _«les bibliothèques de quartier» du lycée, il se passionnait pour 
les doctrines audacieuses qui sont mieux exposées que réfutées par la 
lignée classique qui va du charmant Jouffroy à M. Caro. Là est le grand 
secret de l'éducation d'un jeune homme; il s'attache aux auteurs qu'on 
prétendait ne lui faire connaître que pour les accabler à ses yeux. A 
dix-huit ans, il était gorgé des plus audacieux paradoxes de la pensée 
humaine; il en eût mal développé l'armature, c'est possible, mais il s'en 
faisait de la substance sentimentale. Et le tout aboutit aux visions 
suivantes auxquelles on a gardé leur dessin de songe augmenté 
peut-être par le recul._ 
* * * * * 
DÉ 
PART INQUIET 
Il rencontra le bonhomme Système sur la bourrique Pessimisme. 
Le jeune homme et la toute jeune femme dont l'heureuse parure et les 
charmes embaument cette aurore fleurie, la main dans la main 
s'acheminent et le soleil les conduit. 
--Prenez garde, ami, n'êtes-vous pas sur le point de vous ennuyer? 
Sur ses lèvres, son âme exquise souriait au jeune homme, et les
jonquilles s'inclinaient à son souffle léger. 
--N'espérons plus, dit-il avec lassitude, que ma pâleur soit la caresse 
livide du petit jour; je me trouble de ce départ. Jadis, en d'autres 
poitrines, mon coeur épuisa cette énergie dont le suprême parfum, qui 
m'enfièvre vers des buts inconnus, s'évapora    
    
		
	
	
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