que je me 
sentais plus ému. 
--Oui, je le connais un peu, répondit-elle en dépliant son éventail; je l'ai 
entendu deux fois depuis qu'il est ici. 
Je ne répondis rien. Je fis faire un détour à la conversation, pour obtenir, 
par surprise, l'aveu que je redoutais. Au bout de cinq minutes de propos 
oiseux en apparence, j'appris que la duchesse avait entendu chanter 
deux fois dans son salon le jeune Célio Floriani, pendant que la porte 
m'était fermée, car ce débutant n'était arrivé à Vienne que depuis cinq 
jours. 
Je renfermai ma colère, mais elle fut devinée, et la duchesse s'en tira 
aussi bien que possible. Je n'étais pas encore assez lié avec elle pour
avoir le droit d'attendre une justification. Elle daigna me la donner 
assez satisfaisante, et mon amertume fit place à la reconnaissance. Elle 
avait beaucoup connu la fameuse Floriani et vu son fils adolescent 
auprès d'elle. Il était venu naturellement la saluer à son arrivée, et, 
croyant lui devoir aide et protection, elle avait consenti à le recevoir et 
à l'entendre, quoique malade et séquestrée. Il avait chanté pour elle 
devant son médecin, elle l'avait écouté par ordonnance de médecin. «Je 
ne sais si c'est que je m'ennuyais d'être seule, ajouta-t-elle d'un ton 
languissant, ou si mes nerfs étaient détendus par le régime; mais il est 
certain qu'il m'a fait plaisir et que j'ai bien auguré de son début. Il a une 
voix magnifique, une belle méthode et un extérieur agréable; mais que 
sera-t-il sur la scène? C'est si différent d'entendre un virtuose à huis 
clos! Je crains pour ce pauvre enfant l'épreuve terrible du public. Le 
nom qu'il porte est un rude fardeau à soutenir; on attend beaucoup de 
lui: noblesse oblige! 
--C'est une cruauté, Madame, dit le marquis R., qui se tenait au fond de 
la loge, le public est bête; il devrait savoir que les personnes de génie 
ne mettent au monde que des enfants bêtes. C'est une loi de nature. 
--J'aime à croire que vous vous trompez, ou que la nature ne se trompe 
pas toujours si sottement, répondit la duchesse d'un air narquois. Votre 
fille est une personne charmante et pleine d'esprit.»--Puis, comme pour 
atténuer l'effet désagréable que pouvait produire sur moi cette repartie 
un peu vive, elle me dit tout bas, derrière son éventail: «J'ai choisi le 
marquis pour être avec nous ce soir, parce qu'il est le plus bête de tous 
mes amis.» 
Je savais que le marquis s'endormait toujours au lever du rideau; je me 
sentis heureux et tout disposé à la bienveillance pour le débutant. 
--Quelle voix a-t-il? demandai-je. 
--Qui? le marquis? reprit-elle en riant. 
--Non, votre protégé! 
--Primo basso cantante. Il se risque dans un rôle bien fort, ce soir.
Tenez, on commence; il entre en scène! voyez. Pauvre enfant! comme 
il doit trembler! 
Elle agita son éventail. Quelques claques saluèrent l'entrée de Célio. 
Elle y joignit si vivement le faible bruit de ses petites mains, que son 
éventail tomba. «Allons, me dit-elle, comme je le ramassais, 
applaudissez aussi le nom de la Floriani, c'est un grand nom en Italie, et, 
nous autres Italiens, nous devons le soutenir. Cette femme a été une de 
nos gloires. 
--Je l'ai entendue dans mon enfance, répondis-je; mais c'est donc depuis 
qu'elle était retirée du théâtre que vous l'avez particulièrement connue? 
car vous êtes trop jeune... 
Ce n'était pas le moment de faire une circonlocution pour apprendre si 
la duchesse avait vu la Floriani une fois ou vingt fois en sa vie. J'ai su 
plus tard qu'elle ne l'avait jamais vue que de sa loge, et que Célio lui 
avait été simplement recommandé par le comte Albani. J'ai su bien 
d'autres choses... Mais Célio débitait son récitatif, et la duchesse 
toussait trop pour me répondre. Elle avait été si enrhumée! 
 
II. 
LE VER LUISANT. 
Il y avait alors au théâtre impérial une chanteuse qui eût fait quelque 
impression sur moi, si la duchesse de... ne se fût emparée plus 
victorieusement de mes pensées. Cette chanteuse n'était ni de la 
première beauté, ni de la première jeunesse, ni du premier ordre de 
talent. Elle se nommait Cécilia Boccaferri; elle avait une trentaine 
d'années, les traits un peu fatigués, une jolie taille, de la distinction, une 
voix plutôt douce et sympathique que puissante; elle remplissait sans 
fracas d'engouement, comme sans contestation de la part du public, 
l'emploi de seconda donna. 
Sans m'éblouir, elle m'avait plu hors de la scène plutôt que sur les 
planches. Je la rencontrais quelquefois chez un professeur de chant qui
était mon ami et qui avait été son maître, et dans quelques salons où 
elle allait chanter avec les premiers sujets. Elle vivait, disait-on, fort 
sagement, et faisait vivre son père, vieux artiste paresseux et 
désordonné. C'était une personne modeste et calme que l'on accueillait 
avec égard, mais dont on    
    
		
	
	
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