de la substance. Les peintres, en méditant le fameux 
_Enterrement d'Ornans_ du maître-peintre, inclinaient d'abord pour le 
cartésianisme, puis, définissant la substance, ils la considéraient 
comme purement passive et invoquaient à l'appui de leur dissertation 
Mallebranche, Descartes et Spinosa. A la seconde tournée de canettes, 
les critiques d'art ramenèrent avec un grand bonheur d'expressions les 
peintres aux monades et à une _harmonie préétablie_ qui expliquait 
tout. 
Le critique d'art a rendu le peintre plus bête qu'il n'était,--plus que la 
nature,--presque autant que lui. 
Il est la cause de la classification des peintres qui donnera une si rude 
besogne aux professeurs du Muséum: 
Les peintres, désormais, rangés sur une liste, Seront étiquetés par un 
naturaliste. 
* * * * * 
=CLASSIFICATION DES PEINTRES= 
ÉCOLE DE PARIS
Les peintres de cette école sont généralement élèves de Gassendi; 
comme ce célèbre professeur, ils font leur syntagme légèrement colorié 
d'épicurisme.--Voltaire, Rousseau, d'Alembert et Diderot empoignent 
les peintres à leur sortie de l'école de Gassendi et les poussent au 
matérialisme. Le fameux Biard, un des plus vieux élèves, se rappelant 
que Molière avait été aussi disciple de Gassendi, s'est surnommé le 
Molière de la peinture. 
Quelques spirites jettent de la variété dans cette école, à laquelle se 
rattachent los Michel-Ange de Montmartre, dont nous avons esquissé 
autrefois les portraits comme suit: 
LES MICHEL-ANGE DE MONTMARTRE 
Montmartre fut autrefois célèbre dans le monde des railleurs par son 
Académie. Les ânes de Montmartre sont tous artisses. 
* * * * * 
Tout le quartier Bréda, la rue des Martyrs, les boulevards extérieurs et 
les rues de Montmartre sont occupés par des peintres, des gens de 
lettres, sculpteurs, musiciens, acteurs et architectes de vilaine espèce. 
Le fluide sympathique, loi physique irrésistible, les a attirés, groupés et 
parqués dans un même lieu. 
* * * * * 
Généralement ils sont malpropres. Ils affectent dans leurs allures, dans 
leur mise, dans leur langage, une désinvolture qui voudrait prouver que 
l'Art seul les préoccupe. Les lignes et les coupes vulgaires de leur 
figure les rendent odieux aux yeux avant que les oreilles ne soient 
blessées par leur voix: car l'horrible vulgarité leur sort par tous les 
porcs et par tous les sens. 
* * * * * 
Ils se font _des têtes_, ce qui serait excusable s'ils pouvaient 
comprendre l'insuffisance de celles que la nature leur a faites; mais non,
ce n'est qu'une prétention bête: ils veulent attirer les regards des 
bourgeois, dans les estaminets. 
* * * * * 
Pour se faire de grands fronts, ils rejettent leurs longs cheveux en 
arrière, les ébouriffent ou les collent derrière l'oreille, les séparent par 
une raie au milieu de la tête ou les portent à la _mal-content_, en 
laissant alors croître leur barbe, qu'ils taillent avec le même art. 
* * * * * 
Une remarque bizarre résulte de leur examen. Au bout de peu de temps, 
l'intimité leur donne à tous la mémo voix, les mêmes gestes, les mêmes 
paroles, la même démarche. 
* * * * * 
Si l'un d'eux s'accoutre d'une façon, deux jours après le camarade est 
affublé pareillement.--Les paletots-sacs et les feutres à larges bords 
sont de leur goût: _ça_ a du chic ou du _caractère_, disent-ils. 
* * * * * 
Mais le plus souvent on les voit passer dans le quartier ou s'attabler 
dans les cafés, habillés de pantalons à pied à larges carreaux, de 
vareuses rouges et coiffés de chapeaux de paille, de bérets, ou plus 
simplement tête nue. 
* * * * * 
Ils partagent avec les acteurs la manie du tutoiement, et ce sont 
justement leurs propos qui provoquent dans l'homme les hauts-le-coeur 
les plus précipités. 
* * * * * 
Ils ne s'abordent jamais sans s'adresser cette phrase sacramentelle: 
«Bonjour, ma vieille, comment _qu'ça te va_?» Quelques mots d'argot
étincellent maladroitement dans leur conversation. Mais voici un 
échantillon significatif, qui achèvera de donner une idée juste de leurs 
expressions: 
* * * * * 
Un soir, quelques-uns de ces messieurs étaient réunis dans un atelier. 
Un d'eux chanta une abominable niaiserie intitulée: _le Voyage aérien_. 
Le chanteur prenait des airs inspirés qui paraissaient émouvoir 
profondément l'auditoire. Quand il eut fini, tout le monde l'entoura, le 
félicita vivement; puis un peintre lui serra les deux mains en lui disant: 
«_C'est égal, tu y as été de la larme_.» 
* * * * * 
Leurs moeurs ne sont pas édifiantes. Leurs soirées se passent dans les 
bals de barrière ou dans les estaminets; leurs nuits, je ne peux pas dire 
où. Enfin ils emploient leurs jours à dormir, flâner, jouer au billard ou à 
l'_impériale_, à fumer et à boire et manger des poisons qui ne les tuent 
pas. 
* * * * * 
Leurs opinions artistiques et littéraires sont que M. Gustave Doré a un 
talent «_épatant_, «que M. Edmond About est «_l'esprit français»_ en    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
 
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.
	    
	    
