du maire de village cette sorte d'agrément qui peut 
encore se rencontrer avec quarante-huit ou cinquante ans. Mais bientôt 
le voyageur parisien est choqué d'un certain air de contentement de soi 
et de suffisance mêlé à je ne sais quoi de borné et de peu inventif. On 
sent enfin que le talent de cet homme-là se borne à se faire payer bien 
exactement ce qu'on lui doit, et à payer lui-même le plus tard possible 
quand il doit. 
Tel est le maire de Verrières, M. de Rênal. Après avoir traversé la rue 
d'un pas grave, il entre à la mairie et disparaît aux yeux du voyageur. 
Mais, cent pas plus haut, si celui-ci continue sa promenade, il aperçoit 
une maison d'assez belle apparence, et à travers une grille de fer 
attenante à la maison, des jardins magnifiques. Au-delà, c'est une ligne 
d'horizon formée par les collines de la Bourgogne; et qui semble faite à 
souhait pour le plaisir des yeux. Cette vue fait oublier au voyageur 
l'atmosphère empestée des petits intérêts d'argent dont il commence à 
être asphyxié. 
On lui apprend que cette maison appartient à M. de Rênal. C'est aux 
bénéfices qu'il a faits sur sa grande fabrique de clous que le maire de 
Verrières doit cette belle habitation en pierre de taille qu'il achève en ce 
moment. Sa famille dit-on, est espagnole antique, et, à ce qu'on prétend, 
établie dans le pays bien avant la conquête de Louis X. 
Depuis 1815 il rougit d'être industriel: 1815 l'a fait maire de Verrières.
Les murs en terrasse qui soutiennent les diverses parties de ce 
magnifique jardin qui, d'étage en étage, descend jusqu'au Doubs, sont 
aussi la récompense de la science de M. de Rênal dans le commerce du 
ter. 
Ne vous attendez point à trouver en France ces jardins pittoresques qui 
entourent les villes manufacturières de l'Allemagne, Leipzig, Francfort, 
Nuremberg, etc. En Franche-Comté. plus on bâtit de murs, plus on 
hérisse sa propriété de pierres rangées les unes au-dessus des autres, 
plus on acquiert de droits aux respects de ses voisins. Les jardins de M. 
de Rênal, remplis de murs, sont encore admirés parce qu'il a acheté au 
poids de l'or certains petits morceaux de terrain qu'ils occupent. Par 
exemple, cette scie à bois, dont la position singulière sur la rive du 
Doubs vous a frappé en entrant à Verrières, et où vous avez remarqué 
le nom de SOREL, écrit en caractères gigantesques sur une planche qui 
domine le toit, elle occupait, il y a six ans, l'espace sur lequel on élève 
en ce moment le mur de la quatrième terrasse des jardins de M. de 
Rênal. 
Malgré sa fierté, M. le maire a dû faire bien des démarches auprès du 
vieux Sorel, paysan dur et entêté; il a dû lui compter de beaux louis d'or 
pour obtenir qu'il transportât son usine ailleurs. Quant au ruisseau 
public qui faisait aller la scie, M. de Rênal, au moyen du crédit dont il 
jouit à Paris, a obtenu qu'il fût détourné. Cette grâce lui vint après les 
élections de 182... 
Il a donné à Sorel quatre arpents pour un, à cinq cents pas plus bas sur 
les bords du Doubs. Et, quoique cette position fût beaucoup plus 
avantageuse pour son commerce de planches de sapin, le père Sorel, 
comme on l'appelle depuis qu'il est riche, a eu le secret d'obtenir de 
l'impatience et de la manie de propriétaire, qui animait son voisin, une 
somme de 6000 F. 
Il est vrai que cet arrangement a été critiqué par les bonnes têtes de 
l'endroit. Une fois, c'était un jour de dimanche, il y a quatre ans de cela, 
M. de Rênal, revenant de l'église en costume de maire, vit de loin le 
vieux Sorel, entouré de ses trois fils, sourire en le regardant. Ce sourire 
a porté un jour fatal dans l'âme de M. le maire, il pense depuis lors qu'il
eût pu obtenir l'échange à meilleur marché. 
Pour arriver à la considération publique à Verrières, l'essentiel est de ne 
pas adopter, tout en bâtissant beaucoup de murs, quelque plan apporté 
d'Italie par ces maçons, qui, au printemps, traversent les gorges du Jura 
pour gagner Paris. Une telle innovation vaudrait à l'imprudent bâtisseur 
une éternelle réputation de mauvaise tête, et il serait à jamais perdu 
auprès des gens sages et modérés qui distribuent la considération en 
Franche-Comté. 
Dans le fait, ces gens sages y exercent le plus ennuyeux despotisme; 
c'est à cause de ce vilain mot que le séjour des petites villes est 
insupportable, pour qui a vécu dans cette grande république qu'on 
appelle Paris. La tyrannie de l'opinion, et quelle opinion! est aussi bête 
dans les petites villes de France, qu'aux États-Unis d'Amérique. 
 
CHAPITRE II 
UN MAIRE 
L'importance! Monsieur, n'est-ce rien? Le respect des sots, 
l'ébahissement des enfants, l'envie des riches, le mépris du    
    
		
	
	
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