de leurs pieds blancs à leurs cheveux blancs, éclatantes de candeur. 
Plus haut, les scènes du tympan, les petites saintes des voussures 
s'enlevaient en arêtes vives, dessinées d'un trait de clarté sur le fond 
sombre; et cela jusqu'au ravissement final, au mariage d'Agnès, que les 
archanges semblaient célébrer sous une pluie de roses blanches. Debout 
sur son pilier, avec sa palme blanche, son agneau blanc, la statue de la 
vierge enfant avait la pureté blanche, le corps de neige immaculé, dans 
cette raideur immobile du froid, qui glaçait autour d'elle le mystique 
élancement de la virginité victorieuse. Et, à ses pieds, l'autre, l'enfant
misérable, blanche de neige, elle aussi, raidie et blanche à croire qu'elle 
devenait de pierre, ne se distinguait plus des grandes vierges. 
Cependant, le long des façades endormies, une persienne qui se rabattit 
en claquant lui fit lever les yeux. C'était, à sa droite, au premier étage 
de la maison qui touchait à la cathédrale. Une femme, très belle, une 
brune forte, d'environ quarante ans, venait de se pencher là; et, malgré 
la gelée terrible, elle laissa une minute son bras nu dehors, ayant vu 
remuer l'enfant. Une surprise apitoyée attrista son calme visage. Puis, 
dans un frisson, elle referma la fenêtre. Elle emportait la vision rapide, 
sous le lambeau de foulard, d'une gamine blonde, avec des yeux 
couleur de violette; la face allongée, le col surtout très long, d'une 
élégance de lis, sur des épaules tombantes; mais bleuie de froid, ses 
petites mains et ses petits pieds à moitié morts, n'ayant plus de vivant 
que la buée légère de son haleine de la cathédrale, entre deux 
contreforts, comme une verrue qui aurait poussé entre les deux doigts 
de pied d'un colosse. Et, accotée ainsi, elle s'était admirablement 
conservée, avec son soubassement de pierre, son étage à pans de bois, 
garnis de briques apparentes, son comble dont la charpente avançait 
d'un mètre sur le pignon, sa tourelle d'escalier saillante, à l'angle de 
gauche, et où la mince fenêtre gardait encore la mise en plomb du 
temps. L'âge toutefois avait nécessité des réparations. La couverture de 
tuiles devait dater de Louis XIV. 
On reconnaissait aisément les travaux faits vers cette époque: 
Une lucarne percée dans l'acrotère de la tourelle, des châssis à petits 
bois remplaçant partout ceux des vitraux primitifs, les trois baies 
accolées du premier étage réduites à deux, celle du milieu bouchée avec 
des briques, ce qui donnait à la façade la symétrie des autres 
constructions de la rue, plus récentes. Au rez-de-chaussée, les 
modifications étaient tout aussi visibles, une porte de chêne moulurée à 
la place de la vieille porte à ferrures, sous l'escalier, et la grande 
arcature centrale dont on avait maçonné le bas, les côtés et la pointe, de 
façon à n'avoir plus qu'une ouverture rectangulaire, une sorte de large 
fenêtre, au lieu de la baie en ogive qui jadis débouchait sur le pavé. 
Sans pensées, l'enfant regardait toujours ce logis vénérable de maître
artisan, proprement tenu, et elle lisait, clouée à gauche de la porte, une 
enseigne jaune, portant ces mots: Hubert chasublier, en vieilles lettres 
noires, lorsque, de nouveau, le bruit d'un volet rabattu l'occupa. Cette 
fois, c'était le volet de la fenêtre carrée durez-de-chaussée: un homme à 
son tour se penchait, le visage tourmenté, au nez en bec d'aigle, au front 
bossu, couronné de cheveux épais et blancs déjà, malgré ses 
quarante-cinq ans à peine; et lui aussi s'oublia une minute à l'examiner, 
avec un pli douloureux de sa grande bouche tendre. 
Ensuite, elle le vit qui demeurait debout, derrière les petites vitres 
verdâtres. Il se tourna, il eut un geste, sa femme reparut, très belle. 
Tous les deux, côte à côte, ne bougeaient plus, ne la quittaient plus du 
regard, l'air profondément triste. 
Il y avait quatre cents ans que la lignée des Hubert, brodeurs de père en 
fils, habitait cette maison. Un maître chasublier l'avait fait construire 
sous Louis XI, un autre, réparer sous Louis XIV; et l'Hubert, actuel y 
brodait des chasubles, comme tous ceux de sa race. A vingt ans, il avait 
aimé une jeune fille de seize ans, Hubertine, d'une t'elle passion, que, 
sur le refus de la mère, veuve d'un magistrat, il l'avait enlevée, puis 
épousée. 
Elle était d'une beauté merveilleuse, ce fut tout leur roman, leur joie et 
leur malheur. Lorsque, huit mois plus tard, enceinte, elle vint au lit de 
mort de sa mère, celle-ci la déshérita et la maudit, si bien que l'enfant, 
né le même soir, mourut. Et, depuis, au cimetière, dans son cercueil, 
l'entêtée bourgeoise ne pardonnait toujours pas, car le ménage n'avait 
plus eu d'enfant, malgré son ardent désir. Après vingt-quatre années, ils 
pleuraient encore celui qu'ils avaient perdu, ils désespéraient 
maintenant de jamais fléchir la morte. Troublée de leurs regards, la 
petite s'était renfoncée derrière le pilier de sainte    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
 
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.
	    
	    
