ni d'espace ni de la 
nourriture suffisante. Sur le Jonas, on avait trouvé assez d'espace, des 
provisions plus qu'il n'en fallait et tout était en règle pour cent hommes, 
sans compter les matelots. Mais, pendant que la commission inspectrice 
achevait sa visite par les mots sacramentels: All right! le dernier convoi 
du chemin de fer de la Flandre amena encore une cinquantaine de 
chercheurs d'or, tous Français, des environs de Lille et de Douai, qui 
furent conduits à Calloo par des gens apostés à cet effet, pour 
s'embarquer secrètement à minuit sur le Jonas. Le résultat de cette 
fraude était un bénéfice net de trente ou quarante mille francs pour 
celui en faveur duquel elle avait été pratiquée; car on recevait le prix du 
voyage de cinquante passagers que, d'après les dispositions de la loi, 
l'on ne pouvait pas prendre à bord. 
L'accumulation de tant de monde pouvait être une cause de grande gêne; 
mais le capitaine semblait s'en inquiéter fort peu. Il répondit à une
remarque de son pilote: 
--Cela ira, Corneille. Il y a assez de provisions; on diminuera la ration; 
si c'est nécessaire. 
--Mais l'eau, capitaine? Il n'y en a pas la moitié de ce qu'il faut pour 
tant de monde! 
--Je le sais, Corneille. Cela prend trop de place; nous renouvellerons 
notre provision dans le premier port d'Amérique. 
--Les passagers ne seront pas peu étonnés de l'arrivée de tant de 
nouveaux compagnons... 
--Bah! cela importe peu, si nous pouvons seulement prévenir les 
plaintes jusqu'à ce que nous soyons sortis de l'Escaut... Une fois en 
pleine mer, je saurai bien leur fermer le museau.--Dis à Jacques, le 
cuisinier en chef, d'allumer le feu tout à l'heure et de faire cuire des 
biftecks pour tous. On leur donnera à leur déjeuner un bon verre de 
rhum. Tu verras, Corneille, la venue de ces nouveaux compagnons ne 
fera que les réjouir. Veille à ce que tout soit prêt pour lever l'ancre à la 
première lueur du jour. Le bâtiment doit être sous voiles avant que les 
passagers aient quitté leurs cabines. 
Le pilote se dirigea vers l'autre extrémité du pont pour aller trouver le 
cuisinier en chef; il se frottait les mains en marchant et chantonnait 
entre ses dents: 
Plus on est de fous, plus on rit! Plus on est... 
Mais le capitaine, irrité de cette raillerie, interrompit la chanson en 
criant: 
--Tais ton bec! 
--Oui, capitaine.
III 
SUR L'ESCAUT 
Lorsque la plupart des voyageurs parurent sur le pont, le Jonas avait 
déjà fait deux ou trois lieues de chemin. Quelques-uns témoignèrent 
bien leur étonnement à la vue de tant de nouveaux compagnons, et 
plusieurs même semblèrent soupçonner la fraude; mais le capitaine leur 
fit croire que c'étaient des voyageurs attardés compris dans l'équipage, 
qui avaient manqué le convoi et étaient ainsi arrivés trop tard. Les 
succulents biftecks et le bon coup de rhum convainquirent les plus 
défiants; et, comme les nouveaux venus paraissaient être de gais 
compagnons, on oublia bientôt leur arrivée inopportune et on chanta, 
comme avait fait le pilote: 
«Plus on est de fous, plus on rit!» 
La joyeuse vie recommença; on dansa et sauta de nouveau. 
Cette fois, cependant, Donat Kwik n'eut pas grande envie de partager la 
joie générale. Les deux Anversois le trouvèrent tristement assis dans un 
coin, la tête dans les mains, et Victor lui demanda par compassion ce 
qu'il avait. 
--Je suis malade, messieurs, répondit le paysan, malade comme un 
cheval, de la bière d'orge d'Anvers, du genièvre brun que cet 
empoisonneur de capitaine m'a fait boire hier au soir. Ah! ma pauvre 
tête! Il y a là dedans trois ou quatre hommes occupés à battre le blé. 
Que ne suis-je en ce moment dans notre grenier à foin de 
Natten-Haesdonck! Car en bas, dans cette étable de cochons, une 
marmotte même ne pourrait dormir. Toute la nuit j'ai eu le cauchemar. 
Il y avait sur mon estomac un bloc d'or grand comme une meule... Ce 
maudit genièvre du capitaine! Aïe! aïe! Ma poitrine brûle; je ne donne 
plus dix sous de ma vie! 
--C'est une suite naturelle de votre ivresse, dit Jean en raillant; c'est à 
vous seul qu'il faut vous en prendre; puisque vous l'avez bu, vous devez 
le cuver avec patience.
Victor, qui était très-compatissant, lui prit la main et le consola en lui 
promettant que son mal guérirait bien vite. 
--Puis-je savoir, s'il vous plaît, à qui j'ai l'honneur de parler? demanda 
Donat. 
--Je me nomme Victor Roozeman. 
--Et ce monsieur-là? 
--C'est mon ami Jean Creps. 
--Eh bien, monsieur Roozeman, je vous remercie du fond de mon coeur 
de votre bonté. J'ai été grossier et stupide hier, n'est-ce pas? 
Pardonnez-le-moi, messieurs, cela ne m'arrivera plus. Je sais lire et 
écrire, je suis bien élevé et je connais mon monde. Lorsque je serai 
guéri, permettez-moi d'échanger de temps en temps une    
    
		
	
	
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