Peu à peu, elle avait 
tâché de s'assouplir, sans y arriver, car les principes autoritaires dont 
elle découlait, lui interdisaient formellement, sous peine de mort, toute 
concession à l'esprit nouveau. Ce fut lorsqu'elle tenta de s'élargir qu'elle 
fut renversée, après un long règne de gloire. 
Depuis le dix-huitième siècle, le drame romantique s'agitait donc dans 
la tragédie. Les trois unités étaient parfois violées, on donnait plus 
d'importance à la décoration et à la figuration, on mettait en scène les 
péripéties violentes que la tragédie reléguait dans des récits, comme 
pour ne pas troubler par l'action la tranquillité majestueuse de l'analyse 
psychologique. D'autre part, la passion de la grande époque était
remplacée par de simples procédés, une pluie grise de médiocrité et 
d'ennui tombait sur les planches. On croit voir la tragédie, vers le 
commencement de ce siècle, pareille à une haute figure pâle et maigrie, 
n'ayant plus sous sa peau blanche une goutte de sang, traînant ses 
draperies en lambeaux dans les ténèbres d'une scène, dont la rampe s'est 
éteinte d'elle-même. Une renaissance de l'art dramatique sous une 
nouvelle formule était fatale, et c'est alors que le drame romantique 
planta bruyamment son étendard devant le trou du souffleur. L'heure se 
trouvait marquée, un lent travail avait eu lieu, l'insurrection s'avançait 
sur un terrain préparé pour la victoire. Et jamais le mot insurrection n'a 
été plus juste, car le drame saisit corps à corps la tragédie, et par haine 
de cette reine devenue impotente, il voulut briser tout ce qui rappelait 
son règne. Elle n'agissait pas, elle gardait une majesté froide sur son 
trône, procédant par des discours et des récits; lui, prit pour règle 
l'action, l'action outrée, sautant aux quatre coins de la scène, frappant à 
droite et à gauche, ne raisonnant et n'analysant plus, étalant sous les 
yeux du public l'horreur sanglante des dénouements. Elle avait choisi 
pour cadre l'antiquité, les éternels Grecs et les éternels Romains, 
immobilisant l'action dans une salle, dans un pérystile de temple; lui, 
choisit le moyen âge, fit défiler les preux et les châtelaines, multiplia 
les décors étranges, des châteaux plantés à pic sur des fleuves, des 
salles d'armes emplies d'armures, des cachots souterrains trempés 
d'humidité, des clairs de lune dans des forêts centenaires. Et 
l'antagonisme se retrouve ainsi partout; le drame romantique, 
brutalement, se fait l'adversaire armé de la tragédie et la combat par 
tout ce qu'il peut ramasser de contraire à sa formule. 
Il faut insister sur cette rage d'hostilité, dans le beau temps du drame 
romantique, car il y a là une indication précieuse. Sans doute, les poètes 
qui ont dirigé le mouvement, parlaient de mettre à la scène la vérité des 
passions et réclamaient un cadre plus vaste pour y faire tenir la vie 
humaine tout entière, avec ses oppositions et ses inconséquences; ainsi, 
on se rappelle que le drame romantique a surtout bataillé pour mêler le 
rire aux larmes dans une même pièce, en s'appuyant sur cet argument 
que la gaieté et la douleur marchent côte à côte ici-bas. Mais, en somme, 
la vérité, la réalité importait peu, déplaisait même aux novateurs. Ils 
n'avaient qu'une passion, jeter par terre la formule tragique qui les 
gênait, la foudroyer à grand bruit, dans une débandade de toutes les
audaces. Ils voulaient, non pas que leurs héros du moyen âge fussent 
plus réels que les héros antiques des tragédies, mais qu'ils se 
montrassent aussi passionnés et sublimes que ceux-ci se montraient 
froids et corrects. Une simple guerre de costumes et de rhétoriques, rien 
de plus. On se jetait ses pantins à la tête. Il s'agissait de déchirer les 
peplums en l'honneur des pourpoints et de faire que l'amante qui parlait 
à son amant, au lieu de l'appeler: Mon seigneur, l'appelât: Mon lion. 
D'un côté comme de l'autre, on restait dans la fiction, on décrochait les 
étoiles. 
Certes, je ne suis pas injuste envers le mouvement romantique. Il a eu 
une importance capitale et définitive, il nous a faits ce que nous 
sommes, c'est-à-dire des artistes libres. Il était, je le répète, une 
révolution nécessaire, une violente émeute qui s'est produite à son 
heure pour balayer le règne de la tragédie tombée en enfance. 
Seulement, il serait ridicule de vouloir borner au drame romantique 
l'évolution de l'art dramatique. Aujourd'hui surtout, on reste stupéfait 
quand on lit certaines préfaces, où le mouvement de 1830 est donné 
comme une entrée triomphale dans la vérité humaine. Notre recul d'une 
quarantaine d'années suffit déjà pour nous faire clairement voir que la 
prétendue vérité des romantiques est une continuelle et monstrueuse 
exagération du réel, une fantaisie lâchée dans l'outrance. A coup sûr, si 
la tragédie est d'une autre fausseté, elle n'est pas plus fausse. Entre les 
personnages en peplum qui se promènent avec des confidents et 
discutent sans fin leurs passions, et les personnages en pourpoint qui 
font les grands    
    
		
	
	
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