me réveillèrent peu d'heures après. Il faisait 
déjà presque jour, et le soleil se montrait sur les dunes qui nous 
environnaient. La pirogue du Mafouc abordait mon navire, qu'elle 
dépassait de l'avant et de l'arrière, tant elle était longue. 
--Salut, me dit en mauvais anglais, le premier ministre de King-Pepel. 
Tu viens faire le commerce dans un royaume aimé du Grand Être. 
Pepel est un roi puissant. Que lui apportes-tu? 
--Une bonne cargaison, des cadeaux pour lui, et de la franchise pour 
tout le monde. 
--Sois le bien venu, capitaine. Nous avons apaisé le dieu de la barre 
pour toi. Feras-tu quelque chose pour nous? 
--Voilà une boîte de couteaux, des fusils, un collier de grenat et un baril
d'eau-de-vie, que je te destinais. 
Le Mafouc prit mon collier de grenat, se le passa au cou, et entama de 
suite le baril d'eau-de-vie. 
--Capitaine, tu peux mettre à la voile pour la grande villa de Boni, où 
règne Pepel; je t'accompagnerai sur ton navire. Tu dois être aimé du 
Grand Être, car tu es généreux et brave: le sang ne t'effraie pas. 
En prononçant ces derniers mots, le Mafouc fit voler, d'un coup de 
damas, la tête d'un vilain noir qui se promenait tristement sur le pont, 
comme s'il avait été préparé à recevoir la mort.[2] Le Mafouc eut soin 
de me prévenir que c'était à mon intention qu'il offrait ce sacrifice au 
Grand Être. 
[Note 2: En Europe, on se refusera de croire à tant de froide atrocité. 
J'engage les personnes qui révoqueront en doute la vérité de ces faits, à 
questionner les marins qui ont fréquenté la côte d'Afrique.] 
Malgré le dégoût que j'éprouvais, je sentis qu'il m'importait de ne pas 
manifester l'horreur dont tous mes sens étaient soulevés. J'ordonnai 
froidement à deux de mes hommes de jeter le cadavre à l'eau. 
Le Mafouc répéta, en observant attentivement mes traits et en 
remarquant sans doute l'obéissance passive de mes gens: «Capitaine, tu 
es généreux et brave.» 
Nous arrivâmes en peu de temps à Boni, la grande ville. Une multitude 
de nègres couvrait les rivages rapprochés, sur lesquels sont jetées ça et 
là les cases qui forment cette bourgade. J'avais fait charger à poudre 
mes caronades jusqu'à la gueule, et à mon commandement tous mes 
pavillons s'élevèrent au bout de mes vergues et au haut de ma mâture, 
au bruit d'une salve de vingt et un coup de canon. Le Mafouc, qui 
m'avait répété que j'étais brave et généreux, tremblait de tous ses 
membres à chaque détonation. Moi, pendant ce temps, je fumais 
paisiblement un cigarre en me promenant sur le pont, comme à mon 
ordinaire, et sans avoir l'air de faire attention à tout ce qui se passait. 
Ces marques extérieures d'impassibilité imposèrent aux nègres, et je
prévoyais bien qu'elles devaient produire un bon effet quant à l'opinion 
que je voulais leur faire concevoir de moi. 
La salve finie, il me fallut aller à terre dans la pirogue du Mafouc. «Ne 
craignez pas pour votre capitaine, dis-je à mes hommes, qui 
paraissaient inquiets de me voir m'éloigner seul. Ces gens-là me croient 
protégé par leur Grand Être: laissez courir la barque.» 
Je n'eus pas le temps de débarquer à terre. Plus de cent nègres traînent 
la pirogue sur le rivage, et m'emportent en triomphe sur un hamac, dans 
lequel ils me traînent au galop vers une dune de sable. Rendus sur le 
sommet de cette dune, ils me laissent seul pendant quelques minutes. 
Puis, au bout de cette petite quarantaine, des marabouts vêtus de blanc 
s'approchent et m'annoncent, avec de grandes gesticulations, que je suis 
purifié. Je leur jette mes pistolets et quelques pièces d'or, et tout le 
clergé de Boni tombe à mes pieds. 
Ils me conduisent vers une grande case de bambous. Le peuple, qui me 
suit, s'arrête respectueusement à la porte de ce sanctuaire de la royauté. 
J'entre et j'aperçois, sur un fauteuil élevé, un gros nègre dont la tête 
aplatie était recouverte d'une perruque de lin à trois marteaux. Un 
manteau de serge rouge, bordé d'un faux galon d'or, lui descendait des 
épaules aux talons; ses pieds étaient nus, et sur sa poitrine suante 
tombait un long collier de grenat d'une douzaine de rangées. 
Ce nègre était le puissant King-Pepel, l'autocrate de Boni! 
Comme sa majesté noire m'imposait peu, j'entamai la conversation. 
--Grand roi, je viens, avec un coeur franc et une bonne cargaison, lier 
des relations d'amitié entre la France et toi, le plus puissant et le plus 
respecté des souverains de la côte. 
Le drogman anglais, qui se tenait auprès du trône, répéta mes paroles à 
S. M. L'interprète me répondit ensuite, de la part de Pepel: 
--Tes coups de canon ont beaucoup plu à S. M. Tu sais honorer le grand 
Etre et le roi. Que portes-tu pour cadeaux au souverain de Boni?
--Toute    
    
		
	
	
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