à causer, chanter, dormir, ou bien encore à nager et 
à plonger, comme des dorades agiles.--Elles allaient à l'eau vêtues de 
leurs tuniques de mousseline, et les gardaient pour dormir, toutes 
mouillées sur leur corps, comme autrefois les naïades. 
Là, venaient souvent chercher fortune les marins de passage; là trônait 
Tétouara la négresse;--là se faisait à l'ombre une grande consommation 
d'oranges et de goyaves. 
Tétouara appartenait à la race des Kanaques noirs de la Mélanésie.--Un 
navire qui venait d'Europe l'avait un jour prise dans une île avoisinant 
la Calédonie, et l'avait déposée à mille lieues de son pays, à Papeete, où 
elle faisait l'effet d'une personne du Congo que l'on aurait égarée parmi 
des misses anglaises. 
Tétouara avec une inépuisable belle humeur, une gaîté simiesque, une 
impudeur absolue, entretenait autour d'elle le bruit et le mouvement. 
Cette propriété de sa personne la rendait précieuse à ses nonchalantes 
compagnes; elle était une des notabilités du ruisseau de Fataoua... 
 
XI 
PRÉSENTATION 
Ce fut vers midi, un jour calme et brûlant, que pour la première fois de 
ma vie j'aperçus ma petite amie Rarahu. Les jeunes femmes tahitiennes, 
habituées du ruisseau de Fataoua, accablées de sommeil et de chaleur, 
étaient couchées tout au bord, sur l'herbe, les pieds trempant dans l'eau 
claire et fraîche.--L'ombre de l'épaisse verdure descendait sur nous, 
verticale et immobile; de larges papillons d'un noir de velours, marqués 
de grands yeux couleur scabieuse, volaient lentement, ou se posaient 
sur nous, comme si leurs ailes soyeuses eussent été trop lourdes pour 
les enlever; l'air était chargé de senteurs énervantes et inconnues; tout 
doucement je m'abandonnais à cette molle existence, je me laissais aller
aux charmes de l'Océanie... 
Au fond du tableau, tout à coup des broussailles de mimosas et de 
goyaviers s'ouvrirent, on entendit un léger bruit de feuilles qui se 
froissent,--et deux petites filles parurent, examinant la situation avec 
des mines de souris qui sortent de leurs trous. 
Elles étaient coiffées de couronnes de feuillage, qui garantissaient leur 
tête contre l'ardeur du soleil; leurs reins étaient serrés dans des pareos 
(pagnes) bleu foncé à grandes raies jaunes; leurs torses fauves étaient 
sveltes et nus; leurs cheveux noirs, longs et dénoués... Point 
d'Européens, point d'étrangers, rien d'inquiétant en vue... Les deux 
petites, rassurées, vinrent se coucher sous la cascade qui se mit à 
s'éparpiller plus bruyamment autour d'elles... 
La plus jolie des deux était Rarahu; l'autre Tiahoui, son amie et sa 
confidente... 
Alors Tétouara, prenant rudement mon bras, ma manche de drap bleu 
marine sur laquelle brillait un galon d'or,--l'éleva au-dessus des herbes 
dans lesquelles j'étais enfoui,--et la leur montra avec une intraduisible 
expression de bouffonnerie, en l'agitant comme un épouvantail. 
Les deux petites créatures, comme deux moineaux auxquels on montre 
un babouin, se sauvèrent terrifiées,--et ce fut là notre présentation, notre 
première entrevue... 
 
XII 
Les renseignements qui me furent sur-le-champ fournis par Tétouara se 
résumaient à peu près à ceci: 
--Ce sont deux petites sottes qui ne sont pas comme les autres, et ne 
font rien comme nous toutes. La vieille Huamahine qui les garde est 
une femme à principes, qui leur défend de se commettre avec nous. 
Elle, Tétouara, eût été personnellement très satisfaite si ces deux filles
se fussent laissé apprivoiser par moi; elle m'engageait très vivement à 
tenter cette aventure. 
Pour les trouver, il suffisait, d'après ses indications, de suivre sous les 
goyaviers un imperceptible sentier qui au bout de cent pas conduisait à 
un bassin plus élevé que le premier et moins fréquenté aussi.--Là, 
disait-elle, le ruisseau de Fataoua se répandait encore dans un creux de 
rocher qui semblait fait tout exprès pour le tête-à- tête ou trois 
personnes intimes.--C'était la salle de bain particulière de Rarahu et de 
Tiahoui; on pouvait dire que là s'était passée toute leur enfance... 
C'était un recoin tranquille, au-dessus duquel faisaient voûte de grands 
arbres-à-pain aux épaisses feuilles,--des mimosas, des goyaviers et de 
fines sensitives. L'eau fraîche y bruissait sur de petits cailloux polis; on 
y entendait de très loin, et perdus en murmure confus, les bruits du 
grand bassin, les rires des jeunes femmes et la voix de crécelle de 
Tétouara. 
 
XIII 
..................................................................... 
--Loti, me disait un mois plus tard la reine Pomaré, de sa grosse voix 
rauque--Loti, pourquoi n'épouserais-tu pas la petite Rarahu du district 
d'Apiré?... Cela serait beaucoup mieux, je t'assure, et te poserait 
davantage dans le pays... 
C'était sous la véranda royale que m'était faite cette question.-- J'étais 
allongé sur une natte, et tenais en main cinq cartes que venait de me 
servir mon amie Téria; en face de moi était étendue ma bizarre 
partenaire, la reine, qui apportait au jeu d'écarté une passion extrême; 
elle était vêtue d'un peignoir jaune à grandes fleurs noires, et fumait 
une longue cigarette de pandanus, faite d'une seule feuille roulée sur 
elle-même. Deux suivantes couronnées de jasmin marquaient    
    
		
	
	
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