succès; qu'après avoir quitté les rubans verts 
de l'homme aux haines vigoureuses, il ait presque aussitôt reparu sous 
la casaque jaune et vert du jovial fagotier. Molière voulut sans doute 
s'amuser lui-même, Lucullus soupa chez Lucullus. Après la satire 
sociale et l'éloquence austère d'Alceste, voici la haute bouffonnerie, la 
gaieté jaillissante et intarissable, la verve folle, le sel gaulois lancé à 
pleines mains. Molière est bien ici le fils de Rabelais. 
LE MÉDECIN MALGRÉ LUI est de toutes ses pièces la plus 
franchement, la plus continûment et la plus irrésistiblement gaie; elle 
guérirait l'hypocondrie la plus sombre. C'est une cure de rire, qu'il faut 
ordonner aux mélancoliques. Car Molière est un grand médecin, il 
possède la panacée universelle, et peut à bon droit s'écrier ici comme 
l'opérateur de ses intermèdes:
O grande puissance de l'orviétan! 
Aussi est-ce de toutes les farces de Molière la plus populaire et la plus 
répandue. Je l'ai vue, dans mon enfance, représentée par des 
marionnettes de campagne, devant un auditoire de paysans qui ne 
l'avaient et ne l'auraient certainement jamais lue. Ils n'y cherchaient pas 
malice, et s'en donnaient à coeur joie, sans se soucier de l'origine 
probable de l'oeuvre, non plus que du nom de l'auteur. 
Ne pouvant imiter leur sagesse, rappelons que LE MÉDECIN 
MALGRÉ LUI fut représenté pour la première fois, sur le théâtre du 
Palais-Royal, le vendredi 6 août 1666, deux mois après la première du 
MISANTHROPE, dont le succès commençait à se ralentir au bout de 
21 représentations. On le donna, comme «petite pièce», à la suite de LA 
MÈRE COQUETTE, du FAVORI, des FACHEUX puis avec LE 
MISANTHROPE, qu'il accompagna souvent du 3 septembre au 21 
novembre. Ce fut encore par LE MÉDICIN qu'on rouvrit le théâtre en 
février 1667, après trois mois d'interruption. 
Molière créa Sganarelle, Mlle Molière, Lucinde. Pour les autres rôles, 
nous n'avons que des conjectures. Mais, d'après l'état de la troupe et 
l'emploi des comédiens, nous pouvons donner comme à peu près 
certaine la distribution suivante: 
Sganarelle..... MOLIÈRE. 
Valère......... DU CROISY. 
Léandre........ LA GRANGE. 
Géronte........ L. BÉJART. 
Lucas.......... LA THORILLIÈRE. 
M. Robert...... DE BRIE. 
Perrin......... DE BRIE. 
Thibaut........ HUBERT.
Lucinde........ Mlles MOLIÈRE. 
Martine........ DE BRIE. 
Jacqueline..... MADELEINE BÉJART. 
Depuis Molière, la tradition de Sganarelle s'est transmise par Rosimond, 
Poisson, La Thorillière, Montmény, Préville, Dugazon, La Rochelle, 
Thénard, Cartigny, Monrose, Samson, Régnier, jusqu'à M. Got, qui le 
joue actuellement, et qui ne compte pat de meilleur rôle dans le vieux 
répertoire. 
La pièce fut publiée au commencement de 1667, chez le libraire Ribou. 
L'édition originale, achevée d'imprimerie 24 décembre 1666, renferme 
un frontispice gravé qui est bien curieux à étudier au point de vue des 
costumes de Géronte en Pantalon de la Comédie Italienne, et de 
Sganarelle en robe de médecin, avec le chapeau «des plus pointus» 
dont parle la brochure.[15] 
On supprime depuis plus d'un siècle à la Comédie-Française la scène 
des paysans Thibaut et Perrin (III, II), qui est cependant des plus 
divertissantes. Elle vient trop tard, allègue-t-on, et ne produit que peu 
d'effet après les étincelantes folies du second acte. Il faudrait au moins 
tenter l'expérience. Selon nous, Molière doit toujours être joué dans son 
intégralité. L'épisode, ici, tient bien à la pièce et ne saurait ralentir 
l'action, puisqu'il donne à Sganarelle l'occasion d'exercer impunément 
le pouvoir de sa prétendue science, en fournissant à Molière de 
nouveaux traits contre les médecins, qu'il n'attaquera plus que deux fois, 
dans POURCEAUGNAC et LE MALADE IMAGINAIRE. 
Pourquoi, dans cette dernière pièce, supprime-t-on la moitié du rôle de 
Béralde, sous prétexte qu'une discussion sur la médecine fait longueur, 
n'arrivant qu'au troisième acte, après la grande scène de MM. Diafoirus 
père et fils, où le rire atteint son maximum d'intensité? C'est, à mon 
sens, priver la pièce de ce qu'elle a de plus profond et de plus durable. 
GEORGES MONVAL.
LE MÉDECIN MALGRÉ LUI 
COMÉDIE EN TROIS ACTES 
LES PERSONNAGES 
SGANARELLE, mari de Martine. MARTINE, femme de Sganarelle. 
M. ROBERT, voisin de Sganarelle. VALÈRE, domestique de Géronte. 
LUCAS, mari de Jacqueline. GÉRONTE, père de Lucinde. 
JACQUELINE, nourrice chez Géronte, et femme de Lucas. LUCINDE, 
fille de Géronte. LÉANDRE, amant de Lucinde. THIBAUT, père de 
Perrin, paysan. PERRIN, fils de Thibaut, paysan. 
 
ACTE PREMIER 
SCÈNE PREMIÈRE 
SGANARELLE, MARTINE, paroissant sur le théâtre en se 
querellant. 
SGANARELLE. 
NON, je te dis que je n'en veux rien faire, et que c'est à moi de parler et 
d'être le maître. 
MARTINE. 
Et je te dis, moi, que je veux que tu vives à ma fantaisie, et que je ne 
me suis point mariée avec toi pour souffrir tes fredaines. 
SGANARELLE. 
O la grande fatigue que d'avoir une femme! et qu'Aristote a bien raison 
quand il dit qu'une femme est pire qu'un démon! 
MARTINE.
Voyez un peu l'habile homme, avec son benêt d'Aristote! 
SGANARELLE. 
Oui, habile homme. Trouve-moi un faiseur de fagots qui sache, comme 
moi,    
    
		
	
	
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