qu'un seul et beau rêve... Laisse-moi tout ce qui est torture, douleur, 
chagrin: tu sais que je suis fort... Oui, mais une attente d'une heure 
encore, et je serais devenu fou! Il aurait peut-être été prudent que je ne 
sorte qu'une heure plus tard, mais je sentais bouillonner dans mon 
cerveau une telle chaleur que j'en étais effrayé... J'ai été sur le point de 
sauter du second étage plutôt que de descendre l'échelle posée contre le 
mur...» 
Pendant qu'il parlait avec une passion inouïe, pendant que ses yeux 
jetaient des étincelles, Elle, plus calme, un peu maternelle, le grondait 
doucement: «Georges, Georges, soyez sage... Ne parlez plus de cela... 
Plus un mot, je vous en prie, de tout ce qui n'est pas notre amour...» 
Au dessert, je me suis retirée, sans même leur dire bonsoir. 
Les voilà donc au comble du bonheur pendant que j'écris ces lignes, 
dans ma chambrette située juste au-dessus de leur nid. 
* * * 
19.--Mardi 25 octobre. 
Ma mère et ma soeur m'ont demandé ce matin si les voyageurs attendus 
étaient arrivés et si je les connaissais. J'ai répondu qu'il était venu un 
monsieur et une dame que je ne connaissais pas. 
Les mots qu'il avait dits hier soir à l'homme avec lequel il était venu: 
«À demain, neuf heures!» me trottaient par la tête. À neuf heures du 
matin, j'étais sur le qui-vive, près de la porte. 
Un pas de cheval approche, un cavalier s'arrête et frappe à la porte avec 
le manche de sa cravache. Je sors, et j'aperçois un capitaine d'infanterie
dans lequel je reconnais le plus jeune des deux messieurs qui avaient 
dîné ici samedi. Je devine maintenant qu'il était venu, lui aussi, hier au 
soir, muni d'une fausse barbe, escortant son général pendant que son 
camarade avait la mission d'accompagner l'adorée... 
Après m'avoir saluée comme s'il me voyait pour la première fois, le 
capitaine me demande si, dans un instant, je ne pourrais pas lui servir 
une tasse de café au lait sans qu'il ait besoin de mettre pied à terre... 
En effet, quelques minutes plus tard, le voilà qui repasse devant la porte. 
Dès que j'entends le sabot du cheval, je sors, je lui présente le plateau et 
je verse ce qu'il a demandé. Il prend la tasse, la vide d'un seul trait, la 
repose sur le plateau. Au même instant, je vois ses yeux me fixer avec 
insistance et me faire signe de regarder le plateau. 
Je regarde: j'aperçois sous la tasse une enveloppe toute blanche que je 
ne lui avais même pas vu glisser... J'ai compris. Il me salue et part au 
grand trot dans la direction de Clermont. 
Je monte frapper à leur porte. Deux voix me répondent: «Entrez!» Leur 
chambre est plongée dans une demi-obscurité, toute fraîche et 
parfumée. 
Je dépose la lettre près d'eux en expliquant comment elle m'a été remise. 
Je me hâte d'enlever les tapis qui calfeutrent les fenêtres et d'ouvrir les 
volets. Voici la chambre inondée de lumière. Je m'accroupis à la 
cheminée pour faire du feu, tout en les observant du coin de l'oeil. 
Il est couché dans le fond du lit, en train de lire la lettre à travers un 
lorgnon qu'elle vient de prendre sur la petite table et de lui passer. 
Appuyée contre son épaule, elle suit des yeux ce qu'il lit. Elle est 
enveloppée entièrement d'une chemise comme je n'en avais jamais vu: 
une sorte de peignoir en surah opaque et fin, garnie jusqu'aux poignets 
d'entre-deux de valenciennes et se refermant par devant à l'aide de 
larges rubans de soie rose noués de place en place. 
Le feu allumé, je me retire. C'est seulement à midi qu'ils m'ont sonnée 
pour déjeuner.
Il portait un vêtement de chasse en grosse laine couleur marron. Elle 
avait pris une nouvelle transformation, aussi ravissante que sa toilette 
d'hier soir: une robe simplette en mousseline de soie blanche avec une 
grande ceinture de surah rose et des manches exquises, ne tombant qu'à 
mi-bras, entr'ouvertes de haut en bas, réunies seulement par des agrafes 
de diamants et de rubis entre lesquelles s'apercevait le bras nu. 
Lui, un ambitieux, un César? On ne peut pas être plus dégagé de toute 
pensée sérieuse, plus enjoué, plus câlin, plus enfant, qu'il ne l'a été 
durant tout ce déjeuner, oubliant de manger à force de la couver du 
regard, ne la quittant pas des yeux, saisissant tout prétexte pour lui 
couvrir les mains et les bras de baisers fous. 
Des phrases entrecoupées de baisers qu'ils se murmuraient, j'ai compris 
que, jamais encore, ils n'avaient été aussi réunis, aussi tranquilles 
qu'ici... Ils ont fait allusion aux entrevues qu'ils avaient eues jusque-là, 
à Paris, furtivement, la nuit... Il a répété plusieurs fois: rue de Bercy... 
J'ai cru comprendre que c'était son domicile à Elle. À un moment, il 
s'est écrié,    
    
		
	
	
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