Le Jour des Rois | Page 2

William Shakespeare
sauve chez sa gouvernante. Celle-ci lui conseille de reprendre les habits de son sexe, et court annoncer au père qu'elle lui conduira sa fille le lendemain.
Cependant Lattanzio attend Romulo avec inquiétude et impatience; il le cherche partout, et on lui montre la maison de la gouvernante, où l'on avait vu entrer Nicuola sous son déguisement. Il lie conversation avec la duègne, qui lui découvre tout, lui vante la constance de son ancienne ma?tresse, et prépare la réconciliation qu'achève la vue de Nicuola elle-même.
Catella prend toujours Paolo pour Romulo. Paolo, qui l'aime, s'aper?oit de sa méprise et la détrompe.
Bient?t tout s'éclaircit. Ambrogio se réjouit du retour de son fils et consent au mariage de sa fille. Lanzetti, qui a cru que Paolo n'était autre que Nicuola déguisée, revient de son erreur et accorde aussi Catella au fils d'Ambrogio.
Shakspeare a mis cette nouvelle sur la scène avec sa négligence ordinaire, car le déguisement de Viola, amoureuse du duc qu'elle ne conna?t point, n'est pas aussi bien motivé que celui de la Nicuola de Bandello. En général, les événements de la nouvelle sont conduits avec beaucoup plus d'art que ceux de la comédie; mais c'est dans les caractères, le comique des situations et la poésie des détails, que Shakspeare retrouve sa supériorité et fait oublier tous les reproches d'invraisemblance que la critique pourrait lui adresser. L'originalité de sir André, de sir Tobie et du bouffon, les espiègleries de la friponne Marie, la gravité comique et les prétentions de Malvolio, la scène délicieuse du jardin et de la lettre, le duel de sir André et du faux page, le charme que répand sur toute la pièce l'amour de Viola, un heureux mélange de sentiment et de cette gaieté que les Anglais appellent humour, tout contribue à rendre cette pièce une des plus agréables de Shakspeare.
Selon le docteur Malone, elle aurait été écrite dans l'année 1614; mais dans une comédie de Ben Jonson, antérieure à cette date, on trouve un passage qui semblerait applicable au Jour des rois, Ben Jonson saisissait toutes les occasions de tourner en ridicule les défauts de Shakspeare. Un de ses personnages dit, à la fin de l'acte III de sa pièce intitulée: _Every man out of his humour_:
?.....Il e?t fallu que sa comédie f?t fondée sur une autre intrigue que celle d'un duc amoureux d'une comtesse, tandis que cette comtesse serait amoureuse du fils du duc, et ce fils du duc amoureux de la suivante de la dame. Vivent ces amours embrouillés, avec un paysan bouffon pour valet, plut?t que des événements trop rapprochés de notre temps!?
Un autre témoignage tout à fait décisif est la découverte faite par M. Collier d'un petit journal manuscrit du temps, dans lequel une représentation du Jour des Rois, ou Ce que vous voudrez, est indiquée à la date du 2 février 1601.

LE JOUR DES ROIS
OU
CE QUE VOUS VOUDREZ

COMéDIE

PERSONNAGES
ORSINO, duc d'Illyrie. SEBASTIEN, jeune gentilhomme, frère de Viola. ANTONIO, capitaine de vaisseau, ami de Sébastien. VALENTIN, } CURIO, } gentilshommes de la suite du duc. SIR TOBIE BELCH, oncle d'Olivia. UN CAPITAINE DE VAISSEAU, ami de Viola. SIR ANDRé AGUE-CHEEK[2]. MALVOLIO, intendant d'Olivia. FABIEN, } PAYSAN BOUFFON, }au service d'Olivia. OLIVIA, riche comtesse. VIOLA, amoureuse du duc. MARIE, suivante d'Olivia. UN PRêTRE. SEIGNEURS, MATELOTS, OFFICIERS, MUSICIENS, SERVITEURS, etc.
[Note 2: Ague cheek, mal de joue.]
_La scène est dans une ville d'Illyrie et sur la c?te voisine._

ACTE PREMIER

SCèNE I
Appartement dans le palais du duc.
LE DUC, CURIO, seigneurs.
(Des musiciens jouent.)
LE DUC.--Si la musique est l'aliment de l'amour, jouez donc; donnez-m'en jusqu'à ce que ma passion surchargée en soit malade et expire.--Répétez cet air; il avait une chute mourante: oh! il a fait sur mon oreille l'impression du doux vent du midi dont le souffle, en passant sur un champ de violettes, leur dérobe et leur rend à la fois des parfums.--C'est assez, pas davantage: ces sons ne sont plus aussi doux qu'ils l'étaient tout à l'heure. O esprit de l'amour, que tu es avide de fra?cheur et de nouveauté! Aussi vaste que la mer, et, comme elle, recevant tout dans ton sein, rien n'y entre, quelle que soit sa valeur et son mérite, sans dégénérer et perdre tout son prix au bout d'une minute. L'imagination est si féconde en formes changeantes, que rien n'égale ses bizarres fantaisies.
CURIO.--Voulez-vous venir chasser, seigneur?
LE DUC.--Quoi donc, Curio?
CURIO.--La biche.
LE DUC.--C'est ce que je fais: je poursuis la plus noble biche que j'aie vue. Ah! la première fois que mes yeux ont contemplé Olivia, il me sembla que sa présence purifiait l'air: de cet instant je fus changé en cerf[3], et mes désirs, comme une meute féroce et cruelle, n'ont cessé depuis de me poursuivre.--(_Valentin entre._) Eh bien! quelles nouvelles d'Olivia?
[Note 3: Allusion à l'histoire d'Actéon.]
VALENTIN.--Sous votre bon plaisir, seigneur, je n'ai pu être admis devant elle, et je ne vous rapporte que cette réponse
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