passent devant le bon chien
qui agite la queue 
et qui est leur gardien. 
Il n'y a sans doute pas aujourd'hui en France un autre poète capable 
d'évoquer un tableau aussi clair et aussi vrai avec des mots aussi 
simples, avec une phrase qui semble celle d'une causerie distraite et qui 
pourtant, comme par hasard, forme des vers charmants, purs et 
définitifs. Cependant le poète suit bien sagement son calendrier et, 
comme Virgile oublie un instant les soins que l'on donne aux abeilles 
pour nous conter l'aventure d'Aristée, M. Francis Jammes, arrivé à la 
fête des Rameaux, nous dit en quelques vers une histoire de Jésus belle 
et tendre ainsi que les vieilles gravures que l'on clouait dans les 
alcôves. 
.....................................................
Jésus pleurait dans le jardin des 
oliviers....
On était allé, en grande pompe, le chercher....
A 
Jérusalem les gens pleuraient en criant son nom....
Il était doux 
comme le ciel, et son petit ânon
trottinait joyeusement sur les palmes
jetées.
Des mendiants amers sanglotaient de joie,
en le suivant, 
parce qu'ils avaient la foi....
De mauvaises femmes devenaient bonnes
en le voyant passer avec son auréole
si belle qu'on croyait que 
c'était le soleil.
Il avait un sourire et des cheveux en miel.
Il a 
ressuscité des morts ... Ils l'ont crucifié... 
Quand nous aurons (et peut-être l'aurons-nous) un calendrier complet 
écrit dans ce ton de simplicité pathétique, il y aura d'ajouté aux tomes 
épars qui sont la poésie française un livre inoubliable. 
M. Francis Jammes offrit ses premiers vers au public en 1894. Il devait 
avoir vingt-cinq ans et sa vie avait été ce qu'elle est restée, solitaire au 
fond des provinces, vers les Pyrénées, mais non dans la montagne: 
Les villages brillent au soleil dans tes plaines,
pleins de clochers, de 
rivières, d'auberges noires.... 
Les femmes des paysans «ont la peau en terre brune», mais les matins 
sont bleus et les soirées sont bleues, 
avec des champs de paille qui sentent la menthe,
avec des fontaines 
crues où l'eau claire chante.... 
avec des sentiers où quand c'est le mois d'octobre
le vent fait voler les 
feuilles des châtaigners.... 
ainsi vont les doux villages éparpillés
sur les coteaux, aux flancs des 
coteaux, à leurs pieds, dans les plaines, dans les vallées, le long des 
gaves,
près des routes, près des villes et des montagnes;
avec les 
clochers minces au-dessus des toits,
avec, sur les chemins qui se 
croisent, des croix,
avec des troupeaux longs qui ont des cloches 
rauques
et le berger fatigué traînant ses sabots.... 
avec les palombes aux yeux rouges et tout ronds
qui arrivent de loin 
dans le gris des nuages
et les grues qui grincent dans le froid et qui 
font,
comme des serrures rouillées, un bruit sauvage....
Voilà, tout déchiqueté, vu par bribes, le paysage où évoluèrent les 
émotions de ce poète dont la solitude a exaspéré et parfois troublé 
l'originalité. Soucieux d'abord de dire son impression du moment, il se 
répète volontiers, variant par de faible nuances les détails de la vie qu'il 
aime. Mais que de visions émues, que de jolies imaginations, et comme 
les mots viennent doucement écrire des pages dont la fraîcheur fait 
envie! Ainsi le tableau, de chaste volupté: 
Tu serais nue sur la bruyère humide et rose.... 
et cet autre, d'un sentiment plus intime: 
La maison serait pleine de roses et de guêpes.... 
et la complainte d'amour et de pitié qui commence ainsi: 
J'aime l'âne si doux
marchant le long des houx. 
Il prend garde aux abeilles
et bouge les oreilles;
et il porte les 
pauvres
et des sacs remplis d'orge. 
et (malgré une strophe mauvaise) la discrète élégie que résument ces 
quatre vers d'une musique si tiède et si lasse: 
Le soleil pur, le nom doux du petit village,
les belles oies qui sont 
blanches comme le sel,
se mêlent à mon amour d'autrefois, pareil
aux chemins obscurs et longs de Sainte Suzanne. 
Après encore un an ou deux d'une vie sans doute toujours pareille, le 
poète a pris une conscience plus décisive de lui-même; son émotion 
devient parfois presque plaintive en même temps que la sensualité de 
l'homme s'exalte, s'avoue avec moins de pudeur, mais toujours soeur 
d'un sentiment et alors toujours pure malgré sa franchise et la nudité de 
ses gestes. Ce triple aspect humain, orgueil, émotion, sensualité, le 
poème en dialogue, appelé Un Jour, le développe, en couleurs vives et 
douces: quatre scènes où la poésie vole au-dessus d'une vie monotone 
et presque triste, quatre images très simples, et même, si l'on veut, 
naïves, mais d'une naïveté qui se connaît et qui connaît sa beauté. Plus
que d'ambitieuses paraphrases c'est bien là la journée (ou la vie) d'un 
poète, qui perçoit le monde extérieur d'abord comme une sensation 
brute (ainsi que tout autre homme), puis en dégage aussitôt, en son 
esprit prompt aux généralisations, la signification symbolique ou 
absolue. Et tout ce poème est plein de vers admirables et graves, des 
vers d'un vrai poète dont le génie encore en croissance éclate, tel des 
rayons de soleil à    
    
		
	
	
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