il demeura 
stupéfié devant ce qu'il voyait: sa mère sur la chaise, le bras encore en 
l'air, tandis que Martine s'était écartée, et que Clotilde debout, très pale, 
attendait, sans détourner les yeux. Quand il eut compris, lui-même 
devint d'une blancheur de linge. Une colère terrible montait en lui. 
La vieille madame Rougon, d'ailleurs, ne se troubla aucunement. Dès 
qu'elle vit l'occasion perdue, elle sauta de la chaise, ne fit aucune 
allusion à la vilaine besogne dans laquelle il la surprenait. 
--Tiens, c'est toi! Je ne voulais pas te déranger.... J'étais venue 
embrasser Clotilde. Mais voici près de deux heures que je bavarde, et je 
file bien vite. On m'attend chez moi, on ne doit plus savoir ce que je 
suis devenue.... Au revoir, à dimanche! 
Elle s'en alla, très à l'aise, après avoir souri à son fils, qui était resté 
muet devant elle, respectueux. C'était une attitude prise par lui, depuis 
longtemps, pour éviter une explication qu'il sentait devoir être cruelle et 
dont il avait toujours eu peur. Il la connaissait, il voulait tout lui 
pardonner, dans sa large tolérance de savant qui faisait la part de 
l'hérédité, du milieu et des circonstances. Puis, n'était-elle pas sa mère? 
et cela aurait suffi; car, au milieu des effroyables coups que ses 
recherches portaient à la famille, il gardait une grande tendresse de 
coeur pour les siens. 
Lorsque sa mère ne fut plus là, sa colère éclata, s'abattit sur Clotilde. Il 
avait détourné les yeux de Martine, il les tenait fixés sur la jeune fille, 
dont les regards ne se baissaient toujours pas, dans une bravoure qui 
acceptait la responsabilité de son acte. 
--Toi! toi! dit-il enfin.
Il lui avait saisi le bras, il le serrait, à la faire crier. Mais elle continuait 
à le regarder en face, sans plier devant lui, avec la volonté indomptable 
de sa personnalité, de sa pensée, à elle. Elle était belle et irritante, si 
mince, si élancée, vêtue de sa blouse noire; et son exquise jeunesse 
blonde, son front droit, son nez fin, son menton ferme, prenait un 
charme guerrier, dans sa révolte. 
--Toi que j'ai faite, toi qui es mon élève, mon amie, mon autre pensée, à 
qui j'ai donné un peu de mon coeur et de mon cerveau! Ah! oui, j'aurais 
dû te garder tout entière pour moi, ne pas me laisser prendre le meilleur 
de toi-même par ton bête de bon Dieu! 
--Oh! monsieur, vous blasphémez! cria Martine, qui s'était rapprochée, 
pour détourner sur elle une partie de sa colère. 
Mais il ne la voyait même pas. Clotilde seule existait. Et il était comme 
transfiguré, soulevé d'une telle passion, que, sous ses cheveux blancs, 
dans sa barbe blanche, son beau visage flambait de jeunesse, d'une 
immense tendresse blessée et exaspérée. Un instant encore, ils se 
contemplèrent de la sorte, sans se céder, les yeux sur les yeux. 
--Toi! toi! répétait-il, de sa voix frémissante. 
--Oui, moi!... Pourquoi donc, maître, ne t'aimerais-je pas autant que tu 
m'aimes? et pourquoi, si je te crois en péril, ne tâcherais-je pas de te 
sauver? Tu t'inquiètes bien de ce que je pense, tu veux bien me forcer à 
penser comme toi! 
Jamais elle ne lui avait ainsi tenu tête. 
--Mais tu es une petite fille, tu ne sais rien! 
--Non, je suis une âme, et tu n'en sais pas plus que moi! 
Il lui lâcha le bras, il eut un grand geste vague vers le ciel, et un 
extraordinaire silence tomba, plein des choses graves, de l'inutile 
discussion qu'il ne voulait pas engager. D'une rude poussée, il était allé 
ouvrir le volet de la fenêtre du milieu; car le soleil baissait, la salle
s'emplissait d'ombre. Puis, il revint. 
Mais elle, dans un besoin d'air et de libre espace, était allée à cette 
fenêtre ouverte. L'ardente pluie de braise avait cessé, il n'y avait plus, 
tombant de haut, que le dernier frisson du ciel surchauffé et pâlissant; et, 
de la terre brûlante encore, montaient des odeurs chaudes, avec la 
respiration soulagée du soir. Au bas de la terrasse, c'était d'abord la voie 
du chemin de fer, les premières dépendances de la gare, dont on 
apercevait les bâtiments; puis, traversant la vaste plaine aride, une ligne 
d'arbres indiquait le cours de la Viorne, au delà duquel montaient les 
coteaux de Sainte-Marthe, des gradins de terres rougeâtres plantées 
d'oliviers, soutenues par des murs de pierres sèches, et que 
couronnaient des bois sombres de pins: large amphithéâtre désolé, 
mangé de soleil, d'un ton de vieille brique cuite, déroulant en haut, sur 
le ciel, cette frange de verdure noire. A gauche, s'ouvraient les gorges 
de la Seille, des amas de pierres jaunes, écroulées au milieu de terres 
couleur de sang, dominées par une immense barre de rochers, pareille à 
un mur de forteresse géante; tandis que, vers la droite, à l'entrée même 
de    
    
		
	
	
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