accident pour ne s'occuper 
que de celui du moine; on le tâte, on le tourne, on le retourne, on le 
relève, on l'interroge. S'il est blessé, tout le monde s'arrête, on le porte, 
on le soutient, on le choie, on le couche, on le garde. Le corricolo est 
remisé au coin de la cour, les chevaux entrent dans l'écurie; pour ce 
jour-là, le voyage est fini; on pleure, on se lamente, on prie. Mais si, au 
contraire, le moine est sain et sauf, personne n'a rien; il remonte à sa 
place, la nourrice et la paysanne reprennent chacune la sienne; chacun 
se rétablit, se regroupe, se rentasse, et, au seul cri excitateur du cocher, 
le corricolo reprend sa course, rapide comme l'air et infatigable comme 
le temps. 
Voilà ce que c'est que le corricolo. 
Maintenant, comment le nom d'une voiture est-il devenu le titre d'un 
ouvrage? C'est ce que le lecteur verra au second chapitre. 
D'ailleurs, nous avons un antécédent de ce genre que, plus que 
personne, nous avons le droit d'invoquer: c'est le Speronare. 
 
I 
Osmin et Zaïda. 
Nous étions descendus à l'hôtel de la Victoire. M. Martin Zir est le type 
du parfait hôtelier italien: homme de goût, homme d'esprit, antiquaire 
distingué, amateur de tableaux, convoiteur de chinoiseries, 
collectionneur d'autographes, M. Martin Zir est tout, excepté aubergiste. 
Cela n'empêche pas l'hôtel de la Victoire d'être le meilleur hôtel de 
Naples. Comment cela se fait-il? Je n'en sais rien. Dieu est parce qu'il 
est. 
C'est qu'aussi l'hôtel de la Victoire est situé d'une manière ravissante: 
vous ouvrez une fenêtre, vous voyez Chiaja, la Villa-Reale, le 
Pausilippe: vous ouvrez une autre, voilà le golfe, et à l'extrémité du
golfe, pareille à un vaisseau éternellement à l'ancre, la bleuâtre et 
poétique Caprée; vous en ouvrez une troisième, c'est Sainte-Lucie avec 
ses mellonari, ses fruits de mer, ses cris de tous les jours, ses 
illuminations de toutes les nuits. 
Les chambres d'où l'on voit toutes ces belles choses ne sont point des 
appartemens; ce sont des galeries de tableau, ce sont des cabinets de 
curiosités, ce sont des boutiques de bric-à-brac. 
Je crois que ce qui détermine M. Martin Zir à recevoir chez lui des 
étrangers, c'est d'abord le désir de leur faire voir les trésors qu'il 
possède; puis il loge et nourrit les hôtes par circonstance. A la fin de 
leur séjour à la Vittoria, un total de leur dépense arrive, c'est vrai: ce 
total se monte à cent écus, à vingt-cinq louis, à mille francs, plus ou 
moins, c'est vrai encore; mais c'est parce qu'ils demandent leur compte. 
S'ils ne le demandaient pas, je crois que M. Martin Zir, perdu dans la 
contemplation d'un tableau, dans l'appréciation d'une porcelaine ou 
dans le déchiffrement d'un autographe, oublierait de le leur envoyer. 
Aussi, lorsque le dey, chassé d'Alger, passa à Naples, charriant ses 
trésors et son harem, prévenu par la réputation de M. Martin Zir, il se 
fit conduire tout droit à l'hôtel de la Vittoria, dont il loua les trois étages 
supérieurs, c'est-à-dire le troisième, le quatrième et les greniers. 
Le troisième était pour ses officiers et les gens de sa suite. 
Le quatrième était pour lui et ses trésors. 
Les greniers étaient pour son harem. 
L'arrivée du dey fut une bonne fortune pour M. Martin Zir; non pas, 
comme on pourrait le croire, à cause de l'argent que l'Algérien allait 
dépenser dans l'hôtel, mais relativement aux trésors d'armes, de 
costumes et de bijoux qu'il transportait avec lui. 
Au bout de huit jours, Hussein-Pacha et M. Martin Zir étaient les 
meilleurs amis du monde; ils ne se quittaient plus. Qui voyait paraître 
l'un s'attendait à voir immédiatement paraître l'autre. Oreste et Pylade
n'étaient pas plus inséparables; Damon et Pythias n'étaient pas plus 
dévoués. Cela dura quatre ou cinq mois. Pendant ce temps, on donna 
force fêtes à Son Altesse. Ce fut à l'une de ces fêtes, chez les prince de 
Cassaro, qu'après avoir vu exécuter un cotillon effréné le dey demanda 
au prince de Tricasia, gendre du ministre des affaires étrangères, 
comment, étant si riche, il se donnait la peine de danser lui même. 
Le dey aimait fort ces sortes de divertissemens, car il était fort 
impressionnable à la beauté, à la beauté comme il la comprenait bien 
entendu. Seulement il avait une singulière manière de manifester son 
mépris ou son admiration. Selon la maigreur ou l'obésité des personnes, 
il disait: 
--Madame une telle ne vaut pas trois piastres. Madame une telle vaut 
plus de mille ducats. 
Un jour on apprit avec étonnement que M. Martin Zir et Hussein-Pacha 
venaient de se brouiller. Voici à quelle occasion le refroidissement était 
survenu: 
Un matin, le cuisinier de Hussein-Pacha, un beau nègre de Nubie, noir 
comme de l'encre et luisant comme s'il eût été passé au vernis; un matin, 
dis-je, le cuisinier de Hussein-Pacha    
    
		
	
	
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