et donner 
sur ce point important des renseignements à qui de droit. Au reste, nous 
voyagions depuis trop long-temps au milieu d'une société équivoque 
pour être pris au dépourvu: nous étions armés jusqu'aux dents et ne 
quittions pas nos armes, ce qui, joint à la terreur qu'inspirait Milord,
nous sauva sans doute des mauvaises rencontres dont nous entendions 
faire journellement le récit. Au reste, comme je ne me fiais pas 
beaucoup à mon guide, ce petit événement me fut une occasion de lui 
dire que, si nous étions arrêtés, la première chose que je ferais serait de 
lui casser la tête. Cette menace, donnée en manière d'avis et de l'air le 
plus tranquille et le plus résolu du monde, parut faire sur lui une 
très-sérieuse impression. 
Vers les trois heures de l'après-midi, nous arrivâmes à Bagnaria. Là, 
notre guide nous proposa de faire une halte, qui serait consacrée à son 
dîner et au nôtre. La proposition était trop juste pour ne pas trouver en 
nous un double écho: nous entrâmes dans une espèce d'auberge, et nous 
demandâmes qu'on nous servit immédiatement. 
Comme, au bout d'une demi-heure, nous ne voyions faire aucuns 
préparatifs dans la chambre où nous attendions notre nourriture, je 
descendis à la cuisine afin de presser le cuisinier. Là il me fut répondu 
qu'on aurait déjà servi le dîner à nos excellences, mais que notre guide 
ayant dit que nos excellences coucheraient à l'hôtel, on n'avait pas cru 
devoir se presser. Comme nous avions fait à peine sept lieues dans la 
journée, je trouvai la plaisanterie médiocre, et je priai le maître de la 
locanda de nous faire dîner à l'instant même, et de prévenir notre 
muletier de se tenir prêt, lui et ses bêtes, à repartir aussitôt après le 
repas. 
La première partie de cet ordre fut scrupuleusement exécutée; deux 
minutes après l'injonction faite, nous étions à table. Mais il n'en fut pas 
de même de la seconde: lorsque nous descendîmes, on nous annonça 
que, notre guide n'étant point rentré, on n'avait pas pu lui faire part de 
nos intentions, et que, par conséquent, elles n'étaient pas exécutées. 
Notre résolution fut prise à l'instant même: nous fîmes faire notre 
compte et celui de nos mulets, nous payâmes total et bonne main; nous 
allâmes droit à l'écurie, nous sellâmes nos montures, nous montâmes 
dessus, et nous dîmes à l'hôte que lorsque le muletier reviendrait il 
n'avait qu'à lui dire qu'en courant après nous il nous rejoindrait sur le 
chemin de Palma. Il n'y avait point à se tromper, ce chemin étant la 
grande route. 
Comme nous atteignions l'extrémité de la ville, nous entendîmes 
derrière nous des cris perçants; c'était notre Calabrais qui s'était mis à 
notre poursuite et qui n'aurait pas été fâché d'ameuter quelque peu ses
compatriotes contre nous. Malheureusement, notre droit était clair: 
nous n'avions fait que six lieues dans la journée, ce n'était point une 
étape. Il nous restait encore trois heures de jour à épuiser et sept milles 
seulement à faire pour arriver à Palma. Nous avions donc le droit d'aller 
jusqu'à Palma. Notre guide alors essaya de nous arrêter par la crainte, et 
nous jura que nous ne pouvions pas manquer d'être arrêtés deux ou trois 
fois en voyageant à une pareille heure; et, à l'appui de son assertion, il 
nous montra de loin quatre gendarmes qui sortaient de la ville et 
conduisaient avec eux cinq ou six prisonniers. Or ces prisonniers 
n'étaient autres, assurait notre homme, que des voleurs qui avaient été 
pris la veille sur la route même que nous voulions suivre. A ceci nous 
répondîmes que, puisqu'ils avaient été pris, ils n'y étaient plus; et que 
d'ailleurs, s'il avait besoin effectivement d'être rassuré, nous 
demanderions aux gendarmes, qui suivaient la même route, la 
permission de voyager dans leur honorable société. A une pareille 
proposition, il n'y avait rien à répondre; force fut donc à notre 
malheureux guide d'en prendre son parti: nous mîmes nos mules au 
petit trot, et il nous suivit en gémissant. Je donne tous ces détails pour 
que le voyageur qui nous succédera dans ce bienheureux pays sache à 
quoi s'en tenir, une fois pour toutes; faire ses conditions, par écrit 
d'abord, et avant tout; puis, ces conditions faites, ne céder jamais sur 
aucune d'elles. Ce sera une lutte d'un jour ou deux; mais ces 
quarante-huit heures passées, votre guide, votre muletier ou votre 
vetturino aura pris son pli, et, devenu souple comme un gant, il ira de 
lui-même au-devant de vos désirs. Sinon, on est perdu: on rencontrera à 
chaque heure une opposition, à chaque pas une difficulté; un voyage de 
trois jours en durera huit, et là où l'on aura cru dépenser cent écus on 
dépensera mille francs. 
Au bout de dix minutes nous avions rejoint nos gendarmes. A peine 
eus-je jeté les yeux sur leur chef,    
    
		
	
	
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