Le Blanc et le Noir | Page 3

Voltaire
Il monte sur le plus beau chameau, les trois autres suivent; il rejoint sa caravane, et se voit dans le chemin de son bonheur.
A peine a-t-il march�� quatre parasanges qu'il est arr��t�� par un torrent profond, large, et imp��tueux, qui roulait des rochers blanchis d'��cume. Les deux rivages ��taient des pr��cipices affreux qui ��blouissaient la vue et gla?aient le courage; nul moyen de passer, nul d'aller �� droite ou �� gauche. Je commence �� craindre, dit Rustan, que Topaze n'ait eu raison de blamer mon voyage, et moi grand tort de l'entreprendre; encore, s'il ��tait ici, il me pourrait donner quelques bons avis. Si j'avais ��b��ne, il me consolerait, et il trouverait des exp��dients; mais tout me manque. Son embarras ��tait augment�� par la consternation de sa troupe: la nuit ��tait noire, on la passa �� se lamenter. Enfin la fatigue et l'abattement endormirent l'amoureux voyageur. Il se r��veille au point du jour, et voit un beau pont de marbre ��lev�� sur le torrent d'une rive �� l'autre.
Ce furent des exclamations, des cris d'��tonnement et de joie. Est-il possible? est-ce un songe? quel prodige! quel enchantement ! oserons-nous passer? Toute la troupe se mettait �� genoux, se relevait, allait au pont, baisait la terre, regardait le ciel, ��tendait les mains, posait le pied en tremblant, allait, revenait, ��tait en extase; et Rustan disait: Pour le coup le ciel me favorise: Topaze ne savait ce qu'il disait; les oracles ��taient en ma faveur; Eb��ne avait raison; mais pourquoi n'est-il pas ici?
A peine la troupe fut-elle au-del�� du torrent que voil�� le pont qui s'ab?me dans l'eau avec un fracas ��pouvantable. Tant mieux! tant mieux! s'��cria Rustan; Dieu soit lou��! le ciel soit b��ni! il ne veut pas que je retourne dans mon pays, o�� je n'aurais ��t�� qu'un simple gentilhomme; il veut que j'��pouse ce que j'aime. Je serai prince de Cachemire; c'est ainsi qu'en poss��dant ma ma?tresse, je ne poss��derai pas mon petit marquisat �� Candahar. Je serai Rustan, et je ne le serai pas, puisque je deviendrai un grand prince: voil�� une grande partie de l'oracle expliqu��e nettement en ma faveur, le reste s'expliquera de m��me: je suis trop heureux; mais pourquoi ��b��ne n'est-il pas aupr��s de moi? je le regrette mille fois plus que Topaze.
Il avan?a encore quelques parasanges avec la plus grande all��gresse; mais, sur la fin du jour, une enceinte de montagnes plus roides qu'une contrescarpe, et plus hautes que n'aurait ��t�� la tour de Babel, si elle avait ��t�� achev��e, barra enti��rement la caravane saisie de crainte.
Tout le monde s'��cria: Dieu veut que nous p��rissions ici! il n'a bris�� le pont que pour nous ?ter tout espoir de retour; il n'a ��lev�� la montagne que pour nous priver de tout moyen d'avancer. O Rustan! ? malheureux marquis! nous ne verrons jamais Cachemire, nous ne rentrerons jamais dans la terre de Candahar.
La plus cuisante douleur, l'abattement le plus accablant, succ��daient dans l'ame de Rustan �� la joie immod��r��e qu'il avait ressentie, aux esp��rances dont il s'��tait enivr��. Il ��tait bien loin d'interpr��ter les proph��ties �� son avantage. O ciel! ? Dieu paternel! faut-il que j'aie perdu mon ami Topaze!
Comme il pronon?ait ces paroles en poussant de profonds soupirs, et en versant des larmes au milieu de ses suivants d��sesp��r��s, voil�� la base de la montagne qui s'ouvre, une longue galerie en vo?te, ��clair��e de cent mille flambeaux, se pr��sente aux yeux ��blouis; et Rustan de s'��crier, et ses gens de se jeter �� genoux, et de tomber d'��tonnement �� la renverse, et de crier miracle! et de dire: Rustan est le favori de Vitsnou, le bien-aim�� de Brama; il sera le ma?tre du monde. Rustan le croyait, il ��tait hors de lui, ��lev�� au-dessus'de lui-m��me. Ah! ��b��ne, mon cher ��b��ne! o�� ��tes-vous ? que n'��tes-vous t��moin de toutes ces merveilles! comment vous ai-je perdu ? Belle princesse de Cachemire, quand reverrai-je vos charmes ?
Il avance avec ses domestiques, son ��l��phant, ses chameaux, sous la vo?te de la montagne, au bout de laquelle il entre dans une prairie ��maill��e de fleurs et bord��e de ruisseaux: au bout de la prairie ce sont des all��es d'arbres �� perte de vue; et au bout de ces all��es, une rivi��re, le long de laquelle sont mille maisons de plaisance, avec des jardins d��licieux. Il entend partout des concerts de voix et d'instruments; il voit des danses; il se hate de passer un des ponts de la rivi��re; il demande au premier homme qu'il rencontre quel est ce beau pays.
Celui auquel il s'adressait lui r��pondit: Vous ��tes dans la province de Cachemire; vous voyez les habitants dans la joie et dans les plaisirs; nous c��l��brons les noces de notre belle princesse, qui va se marier avec le seigneur Barbabou, �� qui son p��re l'a promise; que Dieu perp��tue leur f��licit��! A
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