Lami Fritz | Page 2

Erckmann-Chatrian
sa fortune s'augmentait raisonnablement, parce qu'il n'achetait pas d'actions et ne voulait pas s'enrichir d'un seul coup. Il ��tait exempt de tous les soucis de la famille, ��tant rest�� gar?on; tout le secondait, tout le satisfaisait, tout le r��jouissait; c'��tait un exemple vivant de la bonne humeur que vous procurent le bon sens et la sagesse humaine, et naturellement il avait des amis, ayant des ��cus.
On ne pouvait ��tre plus content que Fritz, mais ce n'��tait pas tout �� fait sans peine, car je vous laisse �� penser les propositions de mariage innombrables qu'il avait d? refuser durant ces quinze ans; je vous laisse �� penser toutes les veuves et toutes les jeunes filles qui avaient voulu se d��vouer �� son bonheur; toutes les ruses des bonnes m��res de famille qui, de mois en mois et d'ann��e en ann��e, avaient essay�� de l'attirer dans leur maison, et de le faire se d��cider en faveur de Charlotte ou de Gretchen; non, ce n'est pas sans peine que Kobus avait sauv�� sa libert�� de cette conspiration universelle.
Il y avait surtout le vieux rabbin, David Sichel--le plus grand arrangeur de mariages qu'on ait jamais vu dans ce bas monde--, il y avait surtout ce vieux rabbin qui s'acharnait �� vouloir marier Fritz. On aurait dit que son honneur ��tait engag�� dans le succ��s de l'affaire. Et le pire, c'est que Kobus aimait beaucoup ce vieux David; il l'aimait pour l'avoir vu, d��s son enfance assis du matin au soir chez le juge de paix, son respectable p��re; pour l'avoir entendu nasiller, discuter et crier autour de son berceau; pour avoir saut�� sur ses vieilles cuisses maigres, en lui tirant la barbiche; pour avoir appris le yudisch[1] de sa propre bouche; pour s'��tre amus�� dans la cour de la vieille synagogue, et enfin pour avoir d?n�� tout petit dans la tente de feuillage que David Sichel dressait chez lui, comme tous les fils d'Isra?l, au jour de la f��te des Tabernacles.
[Note 1: Patois compos�� d'allemand et d'h��breu.]
Tous ces souvenirs se m��laient et se confondaient dans l'esprit de Fritz avec les plus beaux jours de son enfance; aussi n'avait-il pas de plus grand plaisir que de voir, de pr��s ou de loin, le profil du vieux rebbe[2], avec son chapeau rap�� pench�� sur le derri��re de la t��te, son bonnet de coton noir tir�� sur la nuque, sa vieille capote verte, au grand collet graisseux remontant jusque par-dessus les oreilles, son nez crochu barbouill�� de tabac, sa barbiche grise, ses longues jambes maigres, rev��tues de bas noirs formant de larges plis, comme autour de manches �� balai, et ses souliers ronds �� boucles de cuivre. Oui, cette bonne figure jaune, pleine de finesse et de bonhomie, avait le privil��ge d'��gayer Kobus plus que toute autre �� Hunebourg, et du plus loin qu'il l'apercevait dans la rue, il lui criait d'un accent nasillard, imitant le geste et la voix du vieux rebbe:
?H��! h��! vieux posch��-isroel[3], comment ?a va-t-il? Arrive donc que je te fasse go?ter mon kirschenwasser.?
[Note 2: Rabbin.]
[Note 3: Mauvais juif.]
Quoique David Sichel e?t plus de soixante-dix ans, et que Fritz n'en e?t gu��re que trente-six, ils se tutoyaient et ne pouvaient se passer l'un de l'autre.
Le vieux rebbe s'approchait donc, en agitant la t��te d'un air grotesque, et psalmodiant:
?Schaude..., schaude...[4], tu ne changeras donc jamais, tu seras donc toujours le m��me fou que j'ai connu, que j'ai fait sauter sur mes genoux, et qui voulait m'arracher la barbe? Kobus, il y a dans toi l'esprit de ton p��re: c'��tait un vieux braque, qui voulait conna?tre le Talmud et les proph��tes mieux que moi, et qui se moquait des choses saintes, comme un v��ritable pa?en! S'il n'avait pas ��t�� le meilleur homme du monde, et s'il n'avait pas rendu des jugements, �� son tribunal, aussi beaux que ceux de Salomon, il aurait m��rit�� d'��tre pendu! Toi, tu lui ressembles, tu es un ��pikaures[5]; aussi je te pardonne, il faut que je te pardonne.?
[Note 4: Braque.]
[Note 5: ��picurien.]
Alors Fritz se mettait �� rire aux larmes; ils montaient ensemble prendre un verre de Kirschenwasser, que le vieux rabbin ne d��daignait pas. Ils causaient en yudisch des affaires de la ville, du prix des bl��s, du b��tail et de tout. Quelquefois David avait besoin d'argent, et Kobus lui avan?ait d'assez fortes sommes sans int��r��t. Bref, il aimait le vieux rebbe, il l'aimait beaucoup, et David Sichel, apr��s sa femme Sourl�� et ses deux gar?ons Isidore et Nathan, n'avait pas de meilleur ami que Fritz; mais il abusait de son amiti�� pour vouloir le marier.
�� peine ��taient-ils assis depuis vingt minutes en face l'un de l'autre--causant d'affaires, et se regardant avec ce plaisir que deux amis ��prouvent toujours �� se voir, �� s'entendre, �� s'exprimer ouvertement sans arri��re-pens��e, ce qu'on ne peut jamais faire avec des ��trangers--�� peine ��taient-ils
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