roulettes au 
milieu de la salle, puis il ouvrit deux armoires, de ces hautes armoires à 
doubles battants, pratiquées dans les boiseries, et descendant du 
plafond jusque sur le parquet. Dans l'une était le linge de table, aussi 
beau qu'il soit possible de le désirer, sur une infinité de rayons; dans 
l'autre, la vaisselle, de cette magnifique porcelaine de vieux Saxe, 
fleuronnée, moulée et dorée: les piles d'assiettes en bas, les services de 
toute sorte, les soupières rebondies, les tasses, les sucriers au-dessus; 
puis l'argenterie ordinaire dans une corbeille. 
Kobus choisit une belle nappe damassée, et l'étendit sur la table 
soigneusement, passant une main dessus pour en effacer les plis, et 
faisant aux coins de gros noeuds, pour les empêcher de balayer le 
plancher. Il fit cela lentement, gravement, avec amour. Après quoi il 
prit une pile d'assiettes plates et la posa sur la cheminée, puis une autre 
d'assiettes creuses. Il fit de même d'un plateau de verres de cristal, 
taillés à gros diamants, de ces verres lourds où le vin rouge a les reflets
sombres du rubis, et le vin jaune ceux de la topaze. 
Enfin il déposa les couverts sur la table, régulièrement, l'un en face de 
l'autre; il plia les serviettes dessus avec soin, en bateau et en bonnet 
d'évêque, se plaçant tantôt à droite, tantôt à gauche, pour juger de la 
symétrie. 
En se livrant à cette occupation, sa bonne grosse figure avait un air de 
recueillement inexprimable, ses lèvres se serraient, ses sourcils se 
fronçaient: 
«C'est cela, se disait-il à voix basse, le grand Frédéric Schoultz du côté 
des fenêtres, le dos à la lumière, le percepteur Christian Hâan en face 
de lui, Iôsef de ce côté, et moi de celui-ci: ce sera bien... c'est bien 
comme cela; quand la porte s'ouvrira, je verrai tout d'avance, je saurai 
ce qu'on va servir, je pourrai faire signe à Katel d'approcher ou 
d'attendre; c'est très bien. Maintenant les verres: à droite, celui du 
bordeaux pour commencer; au milieu, celui du rudesheim, et ensuite 
celui du johannisberg des capucins. Toute chose doit venir en ordre et 
selon son temps; l'huilier sur la cheminée, le sel et le poivre sur la table, 
rien ne manque plus, et j'ose me flatter.... Ah! le vin! comme il fait déjà 
chaud, nous le mettrons rafraîchir dans un baquet sous la pompe, 
excepté le bordeaux qui doit se boire tiède; je vais prévenir Katel.--Et 
maintenant à mon tour, il faut que je me rase, que je me change, que je 
mette ma belle redingote marron.--Ça va, Kobus, ah! ah! ah! quelle fête 
du printemps.... Et dehors donc, il fait un soleil superbe!--Hé! le grand 
Frédéric se promène déjà sur la place; il n'y a plus une minute à 
perdre!» 
Fritz sortit; en passant devant la cuisine, il avertit Katel de faire 
chauffer le bordeaux et rafraîchir les autres vins; il était radieux et entra 
dans sa chambre en chantant tout bas: «Tra, ri, ro, l'été vient encore une 
fois... yoû! yoû!» 
La bonne odeur de la soupe aux écrevisses remplissait toute la maison, 
et la grande Frentzel, la cuisinière du Boeuf-Rouge, avertie d'avance, 
entrait alors pour veiller au service, car la vieille Katel ne pouvait être à 
la fois dans la cuisine et dans la salle à manger.
La demie sonnait alors à l'église Saint-Landolphe, et les convives ne 
pouvaient tarder à paraître. 
 
IV 
Est-il rien de plus agréable en ce bas monde que de s'asseoir, avec trois 
ou quatre vieux camarades, devant une table bien servie, dans l'antique 
salle à manger de ses pères; et là, de s'attacher gravement la serviette au 
menton, de plonger la cuiller dans une bonne soupe aux queues 
d'écrevisses, qui embaume, et de passer les assiettes en disant: 
«Goûtez-moi cela, mes amis, vous m'en donnerez des nouvelles.» 
Qu'on est heureux de commencer un pareil dîner, les fenêtres ouvertes 
sur le ciel bleu du printemps ou de l'automne. 
Et quand vous prenez le grand couteau à manche de corne pour 
découper des tranches de gigot fondantes, ou la truelle d'argent pour 
diviser tout du long avec délicatesse un magnifique brochet à la gelée, 
la gueule pleine de persil, avec quel air de recueillement les autres vous 
regardent! 
Puis quand vous saisissez derrière votre chaise, dans la cuvette, une 
autre bouteille, et que vous la placez entre vos genoux pour en tirer le 
bouchon sans secousse, comme ils rient en pensant: «Qu'est-ce qui va 
venir à cette heure?» 
Ah! je vous le dis, c'est un grand plaisir de traiter ses vieux amis, et de 
penser: «Cela recommencera de la sorte d'année en année, jusqu'à ce 
que le Seigneur Dieu nous fasse signe de venir, et que nous dormions 
en paix dans le sein d'Abraham.» 
Et quand, à la cinquième ou sixième bouteille, les figures s'animent, 
quand les uns éprouvent tout    
    
		
	
	
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