front pensif, luisaient avec une acuité étrange! Il était résolu à en faire sa femme, si elle consentait et si M. Harley, le banquier, voulait donner sa fille à un Fran?ais! De Sylvia, Georges de Solis était s?r. Il n'avait qu'à parler, il allait parler, et voilà qu'une dépêche alarmée, pressante, de Mme de Solis, rappelait tout à coup le marquis en France. Il fallait que le fils rev?nt pour disputer à l'acharnement féroce des créanciers la fortune des Solis.
Alors, le marquis rentrait au pays, luttait, arrachait aux griffes d'apres coquins ce que son père, affolé de spéculations malheureuses, pouvait encore avoir laissé. Mais, devant les débris de cette fortune, suffisante pour sa mère et pour lui, insuffisante pour la fille du banquier Harley, le marquis n'osait plus laisser échapper la demande et l'aveu qui lui br?laient les lèvres. Il attendait, il comptait sur quelque hasard heureux, et le temps passait, et, là-bas, Sylvia oubliait, sans doute, se croyant oubliée, et, le jour où Solis apprenait que miss Harley devenait la femme d'un autre, il partait, courant le monde, pour échapper à sa propre pensée, à sa souffrance, comme une bête blessée qui fuit, espérant secouer, en courant, la douleur de la blessure.
Mais on ne secoue que les gouttes de sang en ces fuites éperdues. Le marquis avait promené sa tristesse et harassé sa curiosité à travers ces voyages, missions de savant ou séjours qu'il s'imposait à lui-même dans l'Extrême-Orient, il avait usé son temps, sa vie, mais rien en lui, rien n'était cicatrisé! L'oubli n'était pas venu, et lorsque le docteur avait parlé de Norton, un serrement de coeur rendait le marquis tout pale.
Car il avait fallu, pour que la perte de cette Sylvia f?t plus complète, il avait fallu que l'homme qui avait fait d'elle sa femme f?t précisément, par une ironie mauvaise, un être qu'il avait aimé profondément, un de ceux qui se donnent et à qui on se donne dès le premier regard, dans la première poignée de main.
Solis ne se rappelait pas que Norton lui e?t jamais parlé de miss Harley. Et pourtant, liés intimement l'un à l'autre, ces deux hommes avaient échangé bien des confidences, autrefois. Solis, recommandé à Richard Norton par le représentant des états-Unis à Paris, ancien compagnon de Norton, avait été l'h?te de Richard dans des établissements miniers que le Fran?ais voulait étudier, et leurs relations, nées du hasard, s'étaient--comme le fer s'aciérise au feu--changée en amitié dévouée, complète, dans l'épreuve du péril.
Les sympathies vraies ne s'expliquent point, du reste. S'ils se fussent vus pour la première fois dans un salon, ils se fussent aimés en supposant qu'ils eussent pu causer, en toute liberté de coeur, comme, là-bas, dans le tête à tête des journées longues où Norton expliquait et Solis écoutait. Et le marquis s'en souvenait fort bien! Jamais Norton n'avait laissé deviner qu'il connaissait miss Harley. Il ne la connaissait peut-être pas alors! Il l'avait rencontrée depuis, il s'en était épris, il avait demandé sa main....
Georges saurait les détails de tout cela, dès sa première causerie avec Norton. Il avait comme une hate fiévreuse à le revoir.
Le revoir?... Ou la revoir!
Il n'osait même pas se poser la question à lui-même. Mais, avec cette faculté presque cruelle d'analyse intime qu'ont certaines ames, il sentait qu'il entrait plus de joie dans son envie de retrouver Norton et plus de terreur dans son esprit de revoir Sylvia....
Il avait d'ailleurs fait, sans presque réfléchir--machinalement, comme d'instinct--le chemin qui conduisait à la villa Norton, et il se trouvait devant la porte, prêt à sonner--bien mieux, ayant sonné--et se demandant encore s'il ne ferait pas mieux de prendre le train de Paris et de quitter Trouville sans avoir revu cet homme qu'il aimait et cette femme qu'il avait timidement, silencieusement adorée....
Il hésitait encore presque, dans ce salon d'attente où on l'avait introduit, il regrettait d'être venu, il se disait qu'il e?t mieux valu, pour lui-même et pour elle, n'avoir jamais retrouvé ce passé.
Un coup de sifflet traversa l'antichambre comme quelque commandement à bord d'un navire, et le valet rentra, priant ?monsieur le marquis? de le suivre.
Solis, précédé par le domestique, monta un escalier à rampe de bois sculpté où des fa?ences de prix étaient accrochées, les couleurs des vieux Rouen répondant aux vieux reflets mordorés des plats mezzo-arabes;--et au second étage de la villa, aussi luxueuse qu'un h?tel des Champs-Elysées, Georges de Solis se trouva devant un laquais qui, cérémonieusement, lui ouvrit la porte d'un vaste cabinet de travail, donnant par un large window sur la mer:--une porte au seuil de laquelle le jeune homme se trouva en face d'un grand gaillard barbu et souriant, la voix forte et la large main tendue, et qui, joyeusement, lui cria avec un accent yankee assez prononcé:
--Ah! la bonne aubaine!
Et la voix de Norton sonnait claire comme une

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