y tailler avec mon couteau des images de bêtes et de gens, et souvent je restais des journées entières absorbé dans mon travail, la sueur au front. Si je réussissais, d'après mon idée, à tirer du bois une figure plus ou moins ressemblante, je sautais, je dansais et je riais comme si j'avais remporté quelque victoire; mais si, malgré mes efforts, aucune figure reconnaissable n'apparaissait sous mon couteau, je laissais tomber mon oeuvre avec découragement, et je me tordais les bras de dépit et de chagrin.
Mon père, quand je lui montrais mes figures de bois, levait les épaules avec une triste compassion. La vanité singulière que je paraissais tirer de mes grossières et ridicules ébauches le chagrinait comme s'il e?t vu une raison de plus pour douter de la clarté de mon intelligence.
Quant à moi, il me suffisait que ma mère sourit quelquefois à mon travail, que mes soeurs s'amusassent à jouer avec mes figures, et qu'aucun de mes deux frères, plus agés que moi cependant, ne s?t en faire autant.
Un jour, j'avais travaillé avec ardeur, depuis le matin jusque bien avant dans l'après-midi, à imiter la figure de notre vieux curé. Lorsque je regarde aujourd'hui ce pitoyable essai, il me ferait rougir de honte si un souvenir précieux et sacré pour moi n'y était attaché;--Mais alors il me sembla si bien réussi, que j'en fus transporté de joie et que, en ramenant les vaches à l'étable, je tirai au moins cent fois de ma poche l'informe figure pour l'admirer. Que le corps et les vêtements ressemblassent de près ou de loin à ceux du curé, ce n'était pas cela qui m'inquiétait; mais j'avais imité facilement son tricorne, et cela, du moins, était reconnaissable au premier coup d'oeil.
De crainte que mes soeurs ne voulussent jouer avec ma petite statuette, je la tins cachée et ne la montrai pas en rentrant au logis.
Je m'assis dans un coin de la chambre, la main dans la poche, caressant mon chef-d'oeuvre, et plongé dans de douces pensées.
Mon père était allé à la ville pour les affaires de son commerce; ma mère, mes frères et mes soeurs étaient à la maison et parlaient du propriétaire de notre ferme. Ils avaient appris qu'il était l'acquéreur du chateau de Bodeghem, et que ce jour même, il était venu au village dans une belle voiture pour visiter sa nouvelle propriété.
Ma mère parlait à voix basse, pour ne pas éveiller l'attention de l'innocent muet; car il ne savait que se taire et rester immobile, ou crier comme un possédé.
Pendant que ma mère causait de cette importante nouvelle, la porte s'ouvrit tout à coup, et une dame richement vêtue entra dans notre demeure, tenant à la main une petite demoiselle qui avait à peine une année de moins que moi.
Cette dame était la femme de notre propriétaire, et elle connaissait très-bien ma mère, pour avoir re?u plusieurs fois de ses mains le prix de son fermage. Aussi se mit-elle à lui parler familièrement de la maison de campagne que son mari venait d'acheter, ajoutant que désormais elle aurait plus d'une fois l'occasion, durant la belle saison, d'aller voir les gens qui habitaient les fermes que M. Pavelyn, son mari, possédait dans les environs.
Mes frères et soeurs écoutaient curieusement ce que disait cette dame.
Pour moi, j'avais sauté sur mes pieds, et je me tenais debout, comme frappé d'immobilité, devant la petite demoiselle. Mes membres tremblaient, mes yeux brillaient d'admiration, mon coeur battait violemment, et, pour la première fois de ma vie, l'émotion qui m'agitait ne se manifesta point par des cris sauvages.
L'apparition d'un ange, tel que je pouvais le concevoir d'après les descriptions de ma mère, ne m'e?t pas plus profondément remué; car un ange ne pouvait être plus beau que cette enfant ne l'était à mes yeux. Son front et ses joues étaient blancs et polis comme l'albatre. Ses petites lèvres étaient fra?ches et vermeilles comme des feuilles de rose; ses yeux bleus et profonds comme l'azur du ciel pendant une claire journée d'été. Autour de l'ovale régulier de son joli visage, ses cheveux blonds, épais et soyeux, tombaient en boucles abondantes. Elle était vêtue de soie et de satin; elle avait un collier de corail, des bracelets d'or, et ses petits pieds étaient chaussés de souliers rouges.
Tout en elle m'étonnait et me frappait d'une admiration croissante, même sa paleur, sa délicatesse maladive, car cette délicatesse même la fit passer à mes yeux pour une créature supérieure, d'une essence infiniment au-dessus de celle des robustes et gros enfants de notre village.
La petite fille me regarda pendant quelques minutes avec ses yeux bleus profonds, comme pour me demander l'explication de ma singulière attitude. Puis un sourire tranquille et doux entr'ouvrit ses lèvres. Ce sourire pénétra dans mon coeur comme un rayon de lumière et m'arracha un cri sauvage. Je sautai en

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