peindre pour enseigne le portrait du second 
César: large d'épaules et de poitrine, teint pâle et bourgeonné, cheveux 
longs dans le cou, comme les Italiens modernes, yeux très grands, air 
morose, la tête raide, inclinée en arrière.--Avoue que pour un peintre je 
connais bien mes auteurs. 
--Tu plaisantes toujours. 
--Je te jure que le patron aura ce portrait. 
--Tu veux influencer son hospitalité. 
--Il est même capable de nous faire payer plus cher, une fois le tableau 
mis en place. 
--Paresseux! 
--Je te promets de ne pas laisser une ruine, une pierre, un creux de
rocher, sans les toucher, les peindre, les exalter en vers et en prose; 
mais demain!--Nous sommes abîmés de fatigue, et les villas de Tibère, 
si curieuses qu'elles soient, ne nous offriront ni berceaux de verdure, ni 
chambres de repos, pas même un simple banc pour nous asseoir. Les 
fameuses salles de bain sont sans doute dans le même état, sans voûte 
et sans murailles; à peine de loin en loin doit-il exister un bloc informe, 
un pan de mur, une mosaïque grande comme la main, asiles non 
contestés des couleuvres et des lézards!--Aie pitié de ton ami, et remets 
toutes tes promenades à demain et aux jours suivants. 
--Demain! soupira le jeune poëte en s'asseyant. 
--Du reste, il nous faut un guide, et Pagano n'arrivera que demain 
matin.» 
Ce dernier argument parut décider Paul Maresmes. 
«Ah! oui, ce pêcheur de la Petite Marine, qui parle français. 
--Il viendra, ne désespère pas; et quant à son langage, toi qui sais 
l'italien, tu le comprendras toujours. 
--J'attendrai. 
--Oh! la dolente mine, mon pauvre Paul! 
--Raille, faux ami! 
--Pardonne-moi, et allons essayer les lits de Mme Tibère. 
--Oui, si les moustiques et les puces le permettent. 
 
II 
Le lendemain matin, bien reposés, Paul et Julien partaient sous la 
conduite du pêcheur Pagano: ce dernier avait dépassé la cinquantaine, 
mais, petit et trapu, il semblait d'une force et d'une agilité extraordinaire;
sa figure franche, son air ouvert, presque candide, plurent 
immédiatement aux deux jeunes gens, et sa conversation, parfois 
émaillée de mots italiens et de locutions françaises, était facile à 
comprendre. 
Ils commencèrent leur excursion par le côté oriental. Un sentier étroit, 
passant sous l'ancien fort San-Michele, monte vers _il Capo_: il faut 
une heure environ pour faire ce trajet. Ils ne tardèrent pas à voir l'église 
_Santa-Maria del Soccorso_, sur la hauteur même; puis, en face du cap 
Campanella, les restes de la plus célèbre des villas de Tibère, celle que 
l'on nomme maintenant il Palazzo (le Palais), qui était dédiée à Jupiter, 
et fut commencée par l'empereur Auguste. Pagano montra un fragment 
de colonne gisant sur un des côtés du sentier: 
«L'entrée del Palazzo! 
--Et le palais lui-même!» ajouta Julien en désignant une longue et large 
muraille à moitié ruinée, mais dont les fragments résistaient 
victorieusement à l'action du temps et aux violences des mauvaises 
saisons. Quelques chambres subsistent encore, et dans la plus haute 
loge un ermite, vivant d'aumônes et faisant la cuisine; nos visiteurs se 
débarrassèrent de lui moyennant une honnête rétribution. 
Paul s'était arrêté pensif devant ces débris: quelques voûtes crevées par 
places, des pierres rongées par la pluie, des fragments de mosaïque 
blanche et noire, enfouis sous les ravenelles, les ronces et les herbes, 
prouvaient seuls qu'un édifice avait existé en cet endroit. Le jeune poëte 
songeait alors à Tibère tout-puissant empereur; Tibère qui de ce rocher 
inculte et sauvage avait fait un jardin pour y cacher ses débauches; 
Tibère, orgueilleux César élevant douze superbes villas, palais dédiés 
aux douze grands dieux, et couvrant l'île entière de bosquets, de bois, 
de forêts; construisant des aqueducs pour distribuer l'eau dans toutes 
ces demeures luxueusement décorées; créant des bains magnifiques, 
des thermes, des fontaines, et, du haut de son palais, palais de Jupiter, 
bravant et tenant courbés sous le joug de sa terreur, le peuple romain, le 
Sénat, le monde entier. Là, il écrivait ses ordres à Rome, et les 
sénateurs pâlissaient et tremblaient à la lecture des terribles lettres 
datées de Caprée. Peut-être ces chambres ruinées, dégradées et
s'émiettant en poussière avaient-elles vu réunis Tibère et Caligula, 
quand l'empereur manda près de lui ce dernier, alors âgé de vingt ans, 
et dans le même jour le fit homme, le revêtant de la robe virile et lui 
faisant couper la barbe. 
Un monde d'idées étranges assaillaient le jeune homme emporté par la 
fièvre de son imagination. De cette hauteur, tournant le dos à la mer; il 
jetait les yeux sur toute l'île, y cherchant les bosquets d'autrefois, les 
asiles à Vénus abritant des couples amoureux, les villas magnifiques de 
marbre et d'or. Sous l'influence d'un mirage, il croyait voir la Caprée du 
César romain, et Tibère lui-même venait à lui, raide, morose, effrayant; 
Tibère promenant dans cette retraite son oisiveté malfaisante et dissolue, 
abandonnant son ancienne activité    
    
		
	
	
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