La sagesse et la destinée

Maurice Maeterlinck
La sagesse et la destinée

Project Gutenberg's La sagesse et la destinée, by Maurice Maeterlinck
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Title: La sagesse et la destinée
Author: Maurice Maeterlinck
Release Date: February 20, 2004 [EBook #11178]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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SAGESSE ET LA DESTINEE ***

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LA SAGESSE ET LA DESTINÉE
MAURICE MAETERLINCK
1908

_À MADAME GEORGETTE LEBLANC_
_Je vous dédie ce livre, qui est pour ainsi dire votre oeuvre. Il y a une
collaboration plus haute et plus réelle que celle de la plume; c'est celle
de la pensée et de l'exemple. Il ne m'a pas fallu péniblement imaginer
les résolutions et les actions d'un sage idéal, ou tirer de mon coeur la
morale d'un beau rêve forcément un peu vague. Il a suffi que

j'écoutasse vos paroles. Il a suffi que mes yeux vous suivissent
attentivement dans la vie; ils y suivaient ainsi les mouvements, les
gestes, les habitudes de la sagesse même._
_MAETERLINCK._

I
En ce livre, on parlera souvent de sagesse, de fatalité, de justice, de
bonheur et d'amour. Il semble qu'il y ait quelque ironie à évoquer ainsi
un bonheur peu visible, au milieu de malheurs très réels, une justice
peut-être idéale, au sein d'une injustice, hélas! trop matérielle, et un
amour assez malaisément saisissable dans de la haine ou de
l'indifférence bien manifeste. Il semble qu'il ne soit guère opportun
d'aller chercher, à loisir, en des replis cachés au fond du coeur de
l'humanité, quelques motifs de confiance ou de sérénité, quelques
occasions de sourire, de s'épanouir et d'aimer, quelques raisons de
remercier et d'admirer, quand la plus grande partie de cette humanité,
au nom de laquelle on se permet d'élever la voix, loin de pouvoir
s'attarder aux jouissances intérieures et aux consolations profondes,
mais si péniblement atteintes, que le penseur satisfait préconise, n'a
même pas l'assurance ni le temps de goûter jusqu'au bout les misères et
les désolations de la vie.
On a reproché ainsi aux moralistes, à Epictète entre autres, de ne jamais
s'occuper que du sage. Il y a du vrai dans ce reproche, comme il y a du
vrai dans presque tous les reproches qu'on peut faire. Au fond, si l'on
avait le courage de n'écouter que la voix la plus simple, la plus proche,
la plus pressante de sa conscience, le seul devoir indubitable serait de
soulager autour de soi, dans un cercle aussi étendu que possible, le plus
de souffrances qu'on pourrait. Il faudrait se faire infirmier, visiteur des
pauvres, consolateur des affligés, fondateur d'usines modèles, médecin,
laboureur, que sais-je, ou tout au moins ne s'appliquer, comme le savant
de laboratoire, qu'à arracher à la nature ses secrets matériels les plus
indispensables. Seulement, un monde où il n'y aurait plus, à un moment
donné, que des gens se secourant les uns les autres ne persisterait pas
longtemps dans cette oeuvre charitable si personne n'usurpait le loisir
nécessaire pour se préoccuper d'autre chose. C'est grâce à quelques
hommes qui paraissent inutiles qu'il y aura toujours un certain nombre
d'hommes incontestablement utiles. La meilleure partie du bien qu'on

fait autour de nous, à cette heure, est née d'abord dans l'esprit de l'un de
ceux qui négligèrent peut-être plus d'un devoir immédiat et urgent pour
réfléchir, pour rentrer en eux-mêmes, pour parler. Est-ce à dire qu'ils
aient fait ce qu'il y avait de mieux à faire? Qui oserait répondre à cette
question? Ce qu'il y a de mieux à faire semble toujours, aux yeux de
l'âme humblement honnête qu'il faut s'efforcer d'être, le devoir le plus
simple et le plus proche, mais il n'en serait pas moins regrettable que
tout le monde s'en fût toujours tenu au devoir le plus proche. À toutes
les époques, il y eut des êtres qui purent s'imaginer loyalement qu'ils
remplissaient tous les devoirs de l'heure présente en songeant aux
devoirs de l'heure qui allait suivre. La plupart des penseurs affirment
volontiers que ces êtres ne se trompèrent point. Il est bon que le
penseur affirme quelque chose. Il est vrai, pour le dire en passant, que
la sagesse se trouve parfois dans le contraire de ce que le plus sage
affirme. Qu'importe? on ne l'y eût pas aperçue sans cette affirmation; et
le sage a fait son devoir.

II
Aujourd'hui, la misère est une maladie de l'humanité comme la maladie
est une misère de l'homme. Il y a des médecins pour la maladie, comme
il faudrait des médecins pour la misère humaine.
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