La nouvelle Carthage | Page 2

Georges Eekhoud
glauques, et �� fleur de t��te. Presque pas de visage; des traits hommasses, les l��vres minces et d��color��es, le nez camard et du poil sous la narine. Une voix gutturale et d��sagr��able, rappelant le cri de la pintade. Coeur sec et rassis plut?t qu'absent; des ��claira de bont��, mais jamais de d��licatesse; esprit terre �� terre et born��.
Guillaume Dobouziez, brillant capitaine du g��nie, l'avait ��pous��e pour son argent. La dot de cette fille de bonnetiers bruxellois retir��s des affaires, lui servit, lorsqu'il donna sa d��mission, �� ��difier son usine et �� poser le premier jalon d'une rapide fortune.
Le regard de Laurent s'arr��tait avec plus de complaisance, et m��me avec un certain plaisir sur R��gina ou Gina, seule enfant des Dobouziez, d'une couple d'ann��es l'a?n��e du petit Paridael, une brunette ��lanc��e et nerveuse, avec d'expressifs yeux noirs, d'abondants cheveux boucl��s, le visage d'un irr��prochable ovale, le nez aquilin aux ailes fr��tillantes, la bouche mutine et volontaire, le menton marqu�� d'une d��licieuse fossette, le teint ros�� et mat aux transparences de cam��e. Jamais Laurent n'avait vu aussi jolie petite fille.
Cependant il n'osait la regarder longtemps en face ou soutenir le feu de ses prunelles malicieuses, �� ses turbulences d'enfant espi��gle et gat��e se m��lait un peu de la solennit�� et de la superbe du cousin Dobouziez. Et d��j�� quelque chose de d��daigneux et d'indiciblement narquois plissait par moments ses l��vres innocentes et alt��rait le timbre de son rire ing��nu.
Elle ��blouissait Laurent, elle lui imposait comme un personnage. Il en avait vaguement peur. Surtout qu'�� deux ou trois reprises elle le d��visagea avec persistance, en accompagnant cet examen d'un sourire plein de condescendance et de sup��riorit��.
Consciente aussi de l'effet favorable qu'elle produisait sur le gamin, elle se montrait plus remuante et capricieuse que d'habitude; elle se m��lait �� la conversation, mangeait en pignochant, ne savait que faire pour accaparer l'attention. Sa m��re ne parvenait pas �� la calmer et, r��pugnant �� des gronderies qui lui eussent attir�� la rancune de ce petit d��mon, dirigeait des regards de d��tresse vers Dobouziez.
Celui-ci r��sistait le plus longtemps possible aux sommations d��sesp��r��es de son ��pouse.
Enfin, il intervenait. Sourde aux remontrances de sa m��re, Gina se rendait, momentan��ment, d'un petit air de martyre, des plus amusants, aux b��nignes injonctions de son p��re. En faveur de Gina, le chef de la famille se d��partait de sa raideur. Il devait m��me se faire violence pour ne pas r��pondre aux agaceries de sa mignonne; il ne la reprenait qu'�� son corps d��fendant. Et quelle douceur inaccoutum��e dans cette voix et dans ces yeux! Intonations et regards rappelaient �� Laurent l'accent et le sourire de Jacques Paridael. �� tel point que Lorki, c'est ainsi que l'appelait le doux absent, reconnaissait �� peine, dans le cousin Dobouziez semon?ant sa petite Gina, le m��me ��ducateur rigide qui lui avait recommand�� �� lui, tout �� l'heure, durant la douloureuse c��r��monie, de faire ceci, puis cela, et tant de choses qu'il ne savait �� laquelle entendre. Et toutes ces instructions formul��es d'un ton si bref, si p��remptoire!
N'importe, si son coeur d'enfant se serra �� ce rapprochement, le Lorki d'hier, le Laurent d'aujourd'hui, n'en voulut pas �� sa petite cousine d'��tre ainsi pr��f��r��e. Elle ��tait par trop ravissante! Ah, s'il se f?t agi d'un autre enfant, d'un gar?on comme lui par exemple, l'orphelin e?t ressenti, �� l'extr��me, cette r��v��lation de l'��tendue de sa perte; il en e?t ��prouv�� non seulement de la consternation et du d��sespoir, mais encore du d��pit et de la haine; il f?t devenu mauvais pour le prochain privil��gi��; l'injustice de son propre sort l'e?t r��volt��. Mais Gina lui apparaissait �� la fa?on des princesses et des f��es radieuses des contes, et il ��tait naturel que le bon Dieu se montrat plus cl��ment envers des cr��atures d'une essence si sup��rieure!
La petite f��e ne tenait plus en place.
-- Allez jouer, les enfants! lui dit son p��re en faisant signe �� Laurent de la suivre.
Gina l'entra?na au jardin.
C'��tait un enclos trac�� r��guli��rement comme un courtil de paysan, entour�� de murs cr��pis �� la chaux sur lesquels s'��cartelaient des espaliers; �� la fois l��gumier, verger et jardin d'agr��ment, aussi vaste qu'un parc, mais n'offrant ni pelouses vallonn��es, ni futaies ombreuses.
Il y avait cependant une curiosit�� dans ce jardin: une sorte de tourelle en briques rouges adoss��e �� un monticule, au pied de laquelle stagnait une petite nappe d'eau, et qui servait d'habitacle �� deux couples de canards. Des sentiers en colima?on convergeaient an sommet de la colline d'o�� l'on dominait l'��tang et le jardin. Cette bizarre fabrique s'appelait pompeusement ?le Labyrinthe.?
Gina en fit les honneurs �� Laurent.
Avec des gestes de cic��rone affair��, elle lui d��signait les objets. Elle le prenait avec lui sur un ton protecteur:
-- Prends garde de ne pas tomber �� l'eau! ... Maman ne veut pas qu'on cueille les framboises! Elle riait de sa
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