La mer | Page 2

Jules Michelet
qui voulaient englober le monde, attir��s par les r��cits du pays de l'or et des Hesp��rides, d��passent la M��diterran��e, se lancent sur la grande mer, mais s'y arr��tent bient?t. La ligne sombre, ��ternellement couverte de nuages, qu'on rencontre avant l'��quateur, leur impose. Ils s'arr��tent. Ils disent: ?C'est la mer des T��n��bres.? Et ils retournent chez eux.
?Il y aurait de l'impi��t�� �� violer ce sanctuaire. Malheur �� celui qui suivrait sa curiosit�� sacril��ge! On a vu, aux derni��res ?les, un colosse, une mena?ante figure qui disait: ?N'allez pas plus loin.?
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Ces terreurs, un peu enfantines, du vieux monde ne diff��rent en rien de ce qu'on peut voir toujours des ��motions du novice, de la simple personne qui, venue de l'int��rieur, tout �� coup aper?oit la mer. On peut dire que tout ��tre qui en a la surprise, ressent cette impression. Les animaux, visiblement, se troublent. M��me au reflux, lorsque, lasse et d��bonnaire, l'eau tra?ne mollement au rivage, le cheval n'est pas rassur��; il fr��mit et souvent refuse de passer le flot languissant. Le chien recule et aboie, injurie �� sa mani��re la lame dont il a peur. Jamais il ne fait la paix avec l'��l��ment douteux qui lui semble plut?t hostile. Un voyageur nous raconte que les chiens du Kamtchatka, habitu��s �� ce spectacle, n'en sont pas moins effray��s, irrit��s. En grandes bandes, par milliers, dans les longues nuits, ils hurlent contre la vague hurlante, et font assaut de fureur avec l'oc��an du Nord.
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L'introduction naturelle, le vestibule de l'Oc��an, qui pr��pare �� le bien sentir, c'est le cours m��lancolique des fleuves du Nord-Ouest, les vastes sables du Midi, ou les landes de Bretagne. Toute personne qui va �� la mer par ces voies est tr��s-frapp��e de la r��gion interm��diaire qui l'annonce. Le long de ces fleuves, c'est un vague infini de joncs, d'oseraies, de plantes diverses, qui, par les degr��s des eaux m��l��es et peu �� peu saumatres, deviennent enfin marines. Dans les landes, c'est, avant la mer, une mer pr��alable d'herbes rudes et basses, foug��res et bruy��res. ��tant encore �� une lieue, deux lieues, vous remarquez les arbres ch��tifs, souffreteux, rechign��s, qui annoncent �� leur mani��re par des attitudes, j'allais dire par des gestes ��tranges, la proximit�� du grand tyran, et l'oppression de son souffle. S'ils n'��taient pris par les racines, ils fuiraient visiblement; ils regardent vers la terre, tournent le dos �� l'ennemi, semblent tout pr��s de partir, en d��route, ��chevel��s. Ils ploient, se courbent jusqu'au sol, et ne pouvant mieux, fix��s l�� se tordent au vent des temp��tes. Ailleurs encore, le tronc se fait petit et ��tend ses branches ind��finiment dans le sens horizontal. Sur les plages o�� les coquilles, dissoutes, ��l��vent une fine poussi��re, l'arbre en est envahi, englouti. Ses pores se fermant, l'air lui manque; il est ��touff��, mais conserve sa forme et reste l�� arbre de pierre, spectre d'arbre, ombre lugubre qui ne peut dispara?tre, captive dans la mort m��me.
Bien avant de voir la mer, on entend et on devine la redoutable personne. D'abord, c'est un bruit lointain, sourd et uniforme. Et peu �� peu tous les bruits lui c��dent et en sont couverts. On en remarque bient?t la solennelle alternative, le retour invariable de la m��me note, forte et basse, qui de plus en plus roule, gronde. Moins r��guli��re l'oscillation du pendule qui nous mesure l'heure! Mais ici le balancier n'a pas la monotonie des choses m��caniques. On y sent, on croit y sentir la vibrante intonation de la vie. En effet, au moment du flux, quand la vague monte sur la vague, immense, ��lectrique, il se m��le au roulement orageux des eaux le bruit des coquilles et de mille ��tres divers qu'elle apporte avec elle. Le reflux vient-il, un bruissement fait comprendre qu'avec les sables elle remporte ce monde de tribus fid��les, et le recueille en son sein.
Que d'autres voix elle a encore! Pour peu qu'elle soit ��mue, ses plaintes et ses profonds soupirs contrastent avec le silence du morne rivage. Il semble se recueillir pour ��couter la menace de celle qui le flattait hier d'un flot caressant. Que va-t-elle bient?t lui dire? Je ne veux pas le pr��voir. Je ne veux point parler ici des ��pouvantables concerts qu'elle va donner peut-��tre, de ses duos avec les rocs, des basses et des tonnerres sourds qu'elle fait au fond des cavernes, ni de ces cris surprenants o�� l'on croit entendre: Au secours!... Non, prenons-la dans ses jours graves, o�� elle est forte sans violence.
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Si l'enfant et l'ignorant ont toujours devant ce sphinx une stupeur admirative et moins de plaisir que de crainte, il ne faut pas s'en ��tonner. Pour nous-m��mes, par bien des c?t��s, c'est encore une grande ��nigme.
Quelle est son ��tendue r��elle? Plus grande que celle de la terre, voil�� ce qu'on sait le mieux. Sur la surface
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