La guerre et la paix, Tome II | Page 2

Leo Nikoleyevich Tolstoy
par leur teinte sombre et uniforme. Les chevaux s'��brou��rent: l'air ��tait si doux qu'ils ��taient couverts de sueur.
Pierre, le domestique, dit quelques mots au cocher, qui lui r��pondit affirmativement; mais, l'assentiment de ce dernier ne lui suffisant pas, il se tourna vers son ma?tre:
?Excellence, comme il fait bon respirer!
--Quoi? Que dis-tu?
--Il fait bon, Excellence!
--Ah oui, se dit le prince Andr�� �� lui-m��me.... Il parle sans doute du printemps?... C'est vrai... comme tout est d��j�� vert, et si vite?... Voil�� le bouleau, le merisier, l'aune qui verdissent, et les ch��nes?... Je n'en vois pas.... Ah! en voil�� un!?
�� deux pas de lui, sur le bord de la route, un ch��ne, dix fois plus grand et plus fort que ses fr��res les bouleaux, un ch��ne g��ant, ��tendait au loin ses vieilles branches mutil��es, et de profondes cicatrices per?aient son ��corce arrach��e. Ses grands bras d��charn��s, crochus, ��cart��s en tous sens, lui donnaient l'aspect d'un monstre farouche, d��daigneux, plein de m��pris, dans sa vieillesse, pour la jeunesse qui l'entourait et qui souriait au printemps et au soleil, dont l'influence le laissait insensible:
?Le printemps, l'amour, le bonheur?... En ��tes-vous encore �� caresser ces illusions d��cevantes, semblait dire le vieux ch��ne. N'est-ce pas toujours la m��me fiction? Il n'y a ni printemps, ni amour, ni bonheur!... Regardez ces pauvres sapins meurtris, toujours les m��mes.... Regardez les bras noueux qui sortent partout de mon corps d��charn��... me voil�� tel qu'ils m'ont fait, et je ne crois ni �� vos esp��rances, ni �� vos illusions!?
Le prince Andr�� le regarda plus d'une fois en le d��passant, comme s'il en attendait une myst��rieuse confidence, mais le ch��ne conserva son immobilit�� obstin��e et maussade, au milieu des fleurs et de l'herbe qui poussaient �� ses pieds: ?Oui, ce ch��ne a raison, mille fois raison. Il faut laisser �� la jeunesse les illusions. Quant �� nous, nous savons ce que vaut la vie: elle n'a plus rien �� nous offrir!...? Et tout un essaim de pens��es tristes et douces s'��leva dans son ame. Il repassa son existence, et en arriva �� cette conclusion d��sesp��r��e, mais cependant tranquillisante, qu'il ne lui restait plus d��sormais qu'�� v��g��ter sans but et sans d��sirs, �� s'abstenir de mal faire et �� ne plus se tourmenter!
II
Le prince Andr��, oblig��, par suite de ses affaires de tutelle, de se rendre chez le mar��chal de noblesse du district, qui n'��tait autre que le comte ��lie Andr��?��vitch Rostow, fit cette course dans les premiers jours de mai: la for��t ��tait toute feuillue, et la chaleur et la poussi��re si fortes, que le moindre filet d'eau donnait envie de s'y baigner.
Pr��occup�� des demandes qu'il avait �� adresser au comte, il s'��tait d��j�� engag��, sans s'en apercevoir, dans la principale all��e du jardin qui menait �� la maison d'Otradno?, lorsque de joyeuses voix f��minines se firent entendre dans un des massifs, et il vit quelques jeunes filles accourir �� la rencontre de sa cal��che. La premi��re, une brune, qui avait la taille tr��s mince, les yeux noirs, une robe de nankin, avec un mouchoir de poche blanc jet�� n��gligemment sur sa t��te, d'o�� s'��chappaient des m��ches de cheveux ��bouriff��s, s'avan?ait vivement en lui criant quelque chose; mais, �� la vue d'un ��tranger, elle se retourna brusquement sans le regarder, et s'enfuit en ��clatant de rire!
Le prince Andr�� ��prouva une impression douloureuse. La journ��e ��tait si belle, le soleil si ��tincelant, tout respirait un tel bonheur et une telle gaiet��, jusqu'�� cette fillette, �� la taille flexible, qui tout enti��re �� sa folle mais heureuse insouciance, semblait songer si peu �� lui, qu'il se demanda avec tristesse: ?De quoi se r��jouit-elle donc? �� quoi pense-t-elle? Ce n'est s?rement ni le code militaire ni l'organisation des redevances qui l'int��ressent.?
Le comte ��lie Andr��?��vitch vivait �� Otradno? comme par le pass��, recevant chez lui tout le gouvernement, et offrant �� ses invit��s des chasses, des spectacles, et des d?ners avec accompagnement de musique. Toute visite ��tait une bonne fortune pour lui: aussi le prince Andr�� dut-il c��der �� ses instances et coucher chez lui.
La journ��e lui parut des plus ennuyeuses, car ses h?tes et les principaux invit��s l'accapar��rent enti��rement. Cependant il lui arriva �� plusieurs reprises de regarder Natacha qui riait et s'amusait avec la jeunesse, et chaque fois il se demandait encore: ?�� quoi peut-elle donc penser??
Le soir, il fut longtemps sans pouvoir s'endormir: il lut, ��teignit sa bougie, et la ralluma. Il faisait une chaleur ��touffante dans sa chambre, dont les volets ��taient ferm��s, et il en voulait �� ce vieil imb��cile (comme il appelait Rostow) de l'avoir retenu, en lui assurant que les papiers n��cessaires manquaient; il s'en voulait encore plus �� lui-m��me d'avoir accept�� son invitation.
Il se leva pour ouvrir la fen��tre; �� peine eut-il pouss�� au dehors les volets, que la lune, qui semblait guetter ce moment, inonda la chambre
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