générosité. En un mot, elle s'était faite à cette soumission 
servile, indispensable aux femmes de son caractère et de sa condition. 
Et quant à miss Crawley, comme toutes les personnes de son sexe, elle 
savait avec un art cruel retourner dans la plaie la pointe acérée du 
mépris. 
À mesure que la convalescente reprenait des forces, il semblait qu'elle 
cherchât à les essayer contre miss Briggs, la seule compagne qu'elle 
admît dans son intimité. Les parents de miss Crawley ne perdaient pas 
pour cela le souvenir de cette chère demoiselle; au contraire, chacun 
s'efforçait à l'envi de lui témoigner par nombre de cadeaux et de 
messages affectueux l'énergie d'une tendresse inaltérable. 
Nous citerons en première ligne son neveu Rawdon Crawley. Quelques 
semaines après la fameuse bataille de Waterloo, et les détails donnés 
par la Gazette sur ses exploits et son avancement, il arriva à Brighton, 
par le bateau de Dieppe, une boîte à l'adresse de miss Crawley. Cette 
boîte contenait des présents pour la vieille fille et une lettre de son 
respectueux neveu le colonel; le paquet se composait d'une paire
d'épaulettes françaises, d'une croix de la Légion d'honneur et d'une 
poignée d'épée, précieux trophées de la bataille. 
La lettre était charmante de verve et d'entrain; elle donnait tout au long 
l'histoire de la poignée d'épée enlevée à un officier supérieur de la 
garde, qui, après avoir énergiquement exprimé que la garde meurt et ne 
se rend pas, avait été fait prisonnier au même instant par un simple 
soldat. La baïonnette du fantassin avait brisé l'épée de l'officier, et 
Rawdon s'était saisi de ce tronçon pour l'envoyer à sa chère tante. 
Quant à la croix et aux épaulettes, elles avaient été prises à un colonel 
de cavalerie tombé dans la mêlée sous les coups de l'aide de camp. 
Rawdon s'empressait de déposer aux pieds de sa très-affectionnée tante 
ces dépouilles, cueillies dans les plaines de Mars. Il lui demandait la 
permission de lui continuer sa correspondance quand une fois il serait 
arrivé à Paris, lui promettant d'intéressantes nouvelles sur cette capitale 
et ses vieux amis de l'émigration, auxquels elle avait témoigné une si 
bienveillante sympathie pendant leurs jours d'épreuves. 
Briggs fut chargée de la réponse. Elle devait adresser au colonel une 
lettre de félicitations et l'encourager à de nouvelles communications 
épistolaires. La première missive était assez spirituelle et assez 
piquante pour faire bien augurer des suivantes. 
«Je sais très-bien, disait miss Crawley à miss Briggs, que Rawdon est 
aussi incapable que vous d'écrire une lettre pareille, que cette petite 
drôlesse de Rebecca lui a dicté jusqu'à la dernière virgule; mais je n'ai 
garde d'aller me priver des distractions qui peuvent me venir de ce côté; 
faites donc comprendre à mon neveu que sa lettre m'a mise de fort 
bonne humeur.» 
Si miss Crawley ne se trompait pas en attribuant la lettre à Becky, elle 
ne savait peut-être pas aussi bien que les dépouilles opimes qu'on lui 
envoyait étaient également de l'invention de mistress Rawdon. Cette 
dernière les avait eues pour quelques francs de l'un de ces innombrables 
colporteurs qui, le lendemain de la bataille, se mirent à trafiquer ces 
tristes débris. Quoi qu'il en soit la gracieuse réponse de miss Crawley 
ranima les espérances de Rawdon et de sa femme, qui tirèrent les plus 
favorables augures de l'humeur radoucie de leur tante.
Dès que Rawdon, à la suite des armées victorieuses, eut fait son entrée 
dans la capitale, sa vieille tante reçut de Paris la correspondance la plus 
régulière et la plus divertissante. 
La femme du recteur, non moins ponctuelle dans sa correspondance, 
était beaucoup moins goûtée par la vieille demoiselle. L'humeur 
impérieuse de mistress Bute lui avait fait un tort irréparable dans la 
maison de sa belle-soeur, non-seulement elle était détestée des 
subalternes, mais encore elle était à charge à miss Crawley. Si la pauvre 
miss Briggs avait eu la moindre malice dans l'esprit, elle eût trouvé une 
joie ineffable à annoncer à mistress Bute, de la part de sa chère 
Mathilde, que celle-ci se trouvait infiniment mieux depuis que mistress 
Bute n'y était plus; à la prier, toujours au nom de miss Crawley, de ne 
plus s'inquiéter de sa santé et de ne pas quitter sa famille pour venir la 
voir. Plus d'un coeur féminin eût savouré à longs traits ce petit plaisir 
de la vengeance; mais pour rendre justice à miss Briggs, elle ne voyait 
pas si loin. Son ennemie était en disgrâce; il n'en fallait pas davantage 
pour émouvoir sa fibre compatissante. 
«J'ai été bien sotte, se disait, non sans raison, mistress Bute, j'ai été bien 
sotte d'annoncer mon arrivée à miss Crawley dans la lettre qui 
accompagnait l'envoi des canards de Barbarie. J'aurais dû me présenter 
à l'improviste à cette vieille radoteuse, et l'enlever à ces deux harpies 
Briggs et Firkin. Ah! Bute, mon ami Bute! qu'avez-vous    
    
		
	
	
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