mais elle me 
craint. Je ne changerais pas mes dés contre les tiens. 
 
IV. Veillée de la Saint-Jean. 
Le manoir de Saint-Jean-des-Grèves était situé entre le bourg de 
Saint-Georges, sur le Couesnon, et le bourg de Cherrueix. 
Sous le manoir, comme c'était la coutume, quelques maisons se 
groupaient. 
Le manoir occupait le faîte d'un petit mamelon. Un taillis de chênes le 
séparait du village. 
Le Bief-Neuf coulait derrière le manoir. 
On nomme biefs les ruisseaux marneux à berges escarpées, au cours 
manquant de pente, qui dorment tristement dans l'étendue du Marais. 
La principale maison du village appartenait à Simon Le Priol, laboureur 
et fermier de Maurever. 
C'était une bâtisse en marne battue et séchée, que soutenaient des pans 
de bois croisés en X. La toiture de roseaux était haute et svelte, comme 
si elle eût essayé de relever le style épais de la maison.
Dans ce pays plat et gras, le pittoresque fait défaut; alors comme 
aujourd'hui, c'était du blé dru et bien venu sous des pommiers 
difformes et sur de la marne labourée. 
Terre grisâtre comme du savon de ménage ou noire comme du brai en 
fusion; moulins à vent qui ne tournent guère; masures ennuyées 
derrière leur haie jaune et portant leur toiture de roz près du sol, comme 
un gars innocent et frileux qui rabat jusqu'au menton son gros bonnet 
de laine. 
Bon pain, cidre gluant, sang de Bretagne mêlé à sang de Normandie, 
querelles au bâton, querelles à l'écritoire: deux hommes de loi pour un 
médecin, un médecin pour un quart de malade, quatre malades pour un 
homme en santé. 
Tournez la tête, faites trois cents pas, vous quittez la boue, vous trouvez 
le sable, la grève, le vent vif, les pêcheurs découplés comme des héros: 
la vraie Bretagne. 
On est enfoui sous ces odieux pommiers. Mais ils sont si bas! Pour voir 
l'horizon immense, il suffit de se hausser sur un trou de taupe. 
Dol! heureux pays de gros marrons et des procès incurables! Contrée 
sans prétention, à l'abri de toute poésie! Dol! ville naïve qui possède un 
joyau pour cathédrale, et qui entend la messe dans une grange! Dol! 
cité druidique d'où les épiciers raisonnables ont chassé les bardes fous! 
Salut et prospérité! Bon pain, cidre gluant, pommes de terre guéries, 
voilà les souhaits qu'on forme pour ton bonheur! 
Le village de Saint-Jean était trop près de la grève, bien qu'il ne la vît 
point, aveuglé qu'il était par six châtaigniers et trois douzaines de 
pommiers, pour ne pas secouer cette torpeur lymphatique qui endort le 
Marais. Il y avait autant de coquetiers que de garçons de charrue au 
village de Saint-Jean, et le Bief-Neuf y amenait l'eau de la mer aux 
grandes marées, jusqu'à la porte de la grange. 
Simon Le Priol était à la tête du village de plein droit et sans conteste.
Après lui venait maître Gueffès, être hybride, moitié mendiant, moitié 
maquignon, un peu clerc, un peu païen, Normand triple avec un nom 
breton. 
Après maître Gueffès, le commun des mortels. 
C'était une quinzaine de jours après le service célébré au 
Mont-Saint-Michel pour le repos et le salut de monsieur Gilles de 
Bretagne. 
Il y avait grande veillée chez Simon Le Priol pour la fête de la 
Saint-Jean, qui était en même temps la fête de manoir et celle du 
village. 
On avait brûlé vingt-cinq fagots de châtaignier sur l'aire, des fagots qui 
pétillent gaiement dans la flamme et qui lancent au vent des fusées de 
folles étincelles. 
Le souper cuisait dans le chaudron massif, suspendu à la crémaillère. 
Dans l'unique pièce qui composait le rez-de-chaussée de la ferme, le 
village entier était réuni. 
Dix à douze gars, autant de filles, deux ménagères et maître Vincent 
Gueffès, lequel n'appartenait à aucun sexe: ce n'était pas un homme, en 
effet, puisqu'il ne savait ni labourer, ni pêcher, ni se battre; ce n'était 
pas une femme, puisqu'il s'appelait maître Vincent Gueffès, et qu'il 
mendiait à Dol ou à Avranches dans un vieux sac d'échevin. 
L'assemblée était présidée par Simon Le Priol et sa métayère Fanchon 
la Fileuse, bonne grosse Doloise, rouge, forte, franche, buvant son coup 
de cidre comme une luronne qu'elle était, et ne disant jamais non quand 
un pauvre quémandait à sa porte. 
Fanchon la Fileuse était, ma foi, la fille d'un valet de notre sieur le 
pro-secrétaire de l'évêché, ce qui lui donnait un peu d'orgueil. 
Simon Le Priol, lui, avait une honnête figure un peu sèche sous une
forêt de cheveux gris. C'était un grand bonhomme ayant la conscience 
de sa valeur, et sachant garder son _quant à soi_ parmi les petites gens 
du village. 
Il tenait sa ferme à fief, non à bail, et comme Hue de Maurever était 
bien la perle des maîtres, Simon Le Priol avait de quoi dans quelque 
coin. Il passait pour riche. Quand un    
    
		
	
	
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