mort à quelque temps 
de là au château de la Hardouinays. Un service solennel se préparait 
dans l'église placée sous l'invocation de l'archange. Guillaume Robert, 
procureur du cardinal d'Estouteville, trente-deuxième abbé de 
Saint-Michel, avait promis de faire de son mieux pour cette fête de la 
piété fraternelle. 
Le service était commandé pour midi.
François, ayant à ses côtés son favori Arthur de Montauban, Malestroit, 
Jean Budes, le sire de Rieux et Yvon Porhoët, bâtard de Bretagne, 
descendit la ville au pas de son cheval et gagna la porte qui s'ouvrait sur 
la rivière de Sée. Les sires de Thorigny et Du Homme, chevaliers 
normands, l'accompagnaient pour l'honneur de la province. 
Derrière le duc, à peu près au centre de l'escorte, six nobles demoiselles, 
trois Normandes, trois Bretonnes, chevauchaient en grand deuil. Parmi 
elles nous ne citerons que Reine de Maurever, la fille unique du vaillant 
capitaine Hue, vainqueur des Anglais. 
Le visage de Reine était voilé comme celui de ses compagnes. Mais 
quand la gaze funèbre se soulevait au vent qui venait du large, on 
apercevait l'ovale exquis de ses joues un peu pâles et la douce 
mélancolie de son sourire. 
Reine avait seize ans. Elle était belle comme les anges. 
Une fois son regard croisa celui d'un jeune gentilhomme, fièrement 
campé sur un cheval du Rouennais, à la housse d'hermine, et qui portait 
la bannière du deuil, aux armes voilées de Bretagne, avec le chiffre de 
feu monsieur Gilles. 
Ce gentilhomme avait nom Aubry de Kergariou, bonne noblesse de 
Basse-Bretagne, et tenait une lance dans la compagnie du bâtard de 
Porhoët. 
Quand le voile de Reine retomba, Aubry donna de l'éperon et gagna 
d'un temps la tête du cortège où était sa place marquée auprès du 
porte-étendard ducal. 
On arrivait à la barrière de la ville. Ceux qui étaient superstitieux 
remarquèrent ceci; Aubry ne put arrêter sa monture assez à temps pour 
garder le passage libre à son compagnon, l'homme à la cotte d'hermine. 
Ce fut la bannière funèbre qui passa la première. 
Sur les remparts et dans la rue, la foule criait:
--Bretagne-Malo! Bretagne-Malo! Et quatre gentilshommes, portant à 
l'arçon de leurs selles de vastes aumônières, jetaient de temps à autre 
des poignées de monnaies d'argent et répondaient: 
--Largesse du riche Duc! On dit que les bonnes gens de Normandie ont 
toujours fidèlement aimé le numéraire. En cette occasion, ils firent 
grand accueil à la munificence ducale et se battirent à coups de poings 
dans le ruisseau, comme de braves coeurs qu'ils étaient. Tout le monde 
fut content, excepté un laid païen à la tête embéguinée de guenilles, qui 
n'avait eu pour sa part de l'aubaine que des horions et pas un carolus. 
Le pauvre homme se releva en colère. 
--Duc! dit-il au moment où François passait devant lui, encore une 
poignée d'écus pour que Dieu t'oublie! François tourna la tête et poussa 
son cheval. 
D'ordinaire et pour moindre irrévérence, il eût donné de son gantelet 
sur la tête du pataud. 
--Les six hommes d'armes du corps! cria Goulaine, sénéchal de 
Bretagne, en s'arrêtant au dedans de la porte. 
Les six hommes d'armes du corps étaient en quelque sorte les 
chevaliers d'honneur de la cérémonie. Ils devaient suivre 
immédiatement la bannière et mener le deuil. 
C'étaient Hue de Maurever, père de Reine, qui avait été l'écuyer et l'ami 
du prince défunt; Porhoët, pour le sang de Bretagne; Thorigny, pour la 
Normandie; La Hire, pour le roi Charles; Chateaubriand, Le Bègue et 
Mauny. 
Les cinq derniers se présentèrent. 
--Où est le sire de Maurever? demanda Goulaine. Il se fit un 
mouvement dans l'escorte, car cela semblait étrange à chacun que 
Monsieur Hue, le vaillant et le fidèle, manquât à l'heure sainte sous la 
bannière de son maître trépassé. Un murmure courut de rang en rang. 
Chacun répétait tout bas la question du sénéchal:
--Où est le sire de Maurever? Son absence était comme une accusation 
terrible. Contre qui? Personne n'osait le dire ni peut-être le penser. Mais 
du sein de la foule, la voix du vieux païen normand s'éleva de nouveau 
aigre et moqueuse. 
Le grigou disait: 
--Que Dieu t'oublie, duc! que Dieu t'oublie! Le duc François eut le 
frisson sur sa selle. Reine, tremblante, avait serré son voile autour de 
son visage. François se redressa tout pâle, il fit signe à Montauban de 
prendre la place vide de Maurever, et le cortège passa au milieu des 
acclamations redoublées. 
 
II. Deux porte-bannières. 
Au sortir de la porte d'Avranches, ce fut un spectacle magique et 
comme il n'est donné d'en offrir qu'à ces rivages merveilleux. 
Un brouillard blanc, opaque, cotonneux, estompé d'ombres comme les 
nuages du ciel, s'étendait aux pieds des pèlerins depuis le bas de la 
colline jusqu'à l'autre rive de la baie, où les maisons de Cancale se 
montraient au lointain perdu. 
De ce brouillard, le Mont semblait surgir tout    
    
		
	
	
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